Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/383

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

vous ne lui avez toujours pas dit, j’espère, que je ne suis pas encore descendu d’aujourd’hui ? »

Elle répondit qu’il était dans le petit cabinet, et qu’elle lui avait dit que son maître était occupé, mais qu’elle allait faire sa commission.

« C’est bon, dit Ralph, je vais le recevoir. Retournez à votre cuisine, et n’en bougez pas, vous m’entendez ? »

Ravie d’être congédiée, elle eut bientôt tourné les talons. Quant à Ralph, il se recueillit un moment, fit tout ce qu’il put pour reprendre son visage ordinaire, et descendit. Il s’arrêta un moment, pour se remettre, à la porte du cabinet, la main sur le loquet, et, en entrant dans le bureau de Newman, il se trouva en face de M. Charles Cheeryble.

Il n’y avait pas un homme au monde avec lequel il désirât moins se rencontrer en toute occasion ; mais, en ce moment qu’il reconnut en lui le patron et le protecteur de Nicolas, il aurait mieux aimé voir un spectre. Cependant, cette apparition inopinée lui rendit un service. Elle réveilla à l’instant toute son énergie. Elle ralluma dans son sein toutes les passions qui, depuis nombre d’années, y avaient établi leur repaire ; elle fit revivre toute sa haine, sa malice et sa rage. Elle ramena le ricanement sur sa lèvre, la menace sur son front. Elle ressuscita en lui, dans toute sa personne, ce même Ralph Nickleby que tant de gens avaient appris à connaître à leurs dépens pour ne l’oublier jamais.

« Ouf ! dit Ralph s’arrêtant à la porte, voilà, monsieur, un honneur auquel je ne m’attendais pas.

— Et dont vous vous passeriez bien, dit le frère Charles : je sais que vous vous en passeriez volontiers.

— Vous avez la réputation, répliqua Ralph, d’être la vérité même. Ce qu’il y a de sûr, c’est que vous dites là la vérité, et je ne vous contredirai pas là-dessus. C’est un honneur dont je me passerais volontiers, comme je ne m’y attendais guère. Vous voyez que je suis franc.

— En deux mots, monsieur… commença le frère Charles.

— En deux mots, monsieur, reprit Ralph en l’interrompant, pour abréger cette conférence, je vous prie de la finir avant de la commencer. Je devine le sujet dont vous allez m’entretenir, et je ne veux pas en entendre parler. Vous aimez la franchise, à ce qu’on dit, en voilà : voici la porte. Nous n’allons pas du même côté. Continuez votre chemin, s’il vous plaît, et laissez-moi tranquillement continuer le mien.

— Tranquillement ! répéta le frère Charles avec douceur, en