Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/59

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d’œil sur la cage. Et puis, il fallait voir quand Timothée, d’un ton mélodieux, lui criait : « Dick, » comme Dick, jusque-là immobile et sans vie, un vrai merle empaillé, ou une imitation de merle en bois assez grossière, faisait tout à coup trois petits sauts pour venir passer son bec au travers des barreaux de sa cage, et tourner du côté de son vieux maître sa tête sans regard ! et qui peut dire quel était alors le plus heureux, de l’oiseau ou de Tim Linkinwater ?

Ce n’était pas là tout. La bienveillance des bons frères se lisait partout dans les moindres détails de la maison. Les commis et les facteurs étaient de solides gaillards dont la mine faisait plaisir à voir. Au milieu des affiches maritimes et des annonces de bateaux à vapeur en partance, qui décoraient les murs du comptoir, se trouvaient des projets de maisons de secours, des rapports d’établissements charitables, des plans d’hospices et d’hôpitaux à fonder. Cela n’empêchait pas qu’on voyait pendus à la cheminée deux sabres et une espingole, pour faire peur aux voleurs ; mais il faut dire que les deux sabres étaient émoussés et ébréchés et que l’espingole était rouillée dans l’âme. Partout ailleurs, en voyant en étalage cet épouvantail innocent, on n’aurait pu s’empêcher d’en rire ; mais, là, il semblait que même les armes offensives, les instruments de la violence, s’étaient soumis à l’influence pacifique qui régnait en ces lieux pour se transformer en emblèmes de miséricorde et de pardon.

Telles furent les impressions qui frappèrent vivement l’esprit de Nicolas le matin même du jour où il vint prendre possession du tabouret vacant, et où il promena autour de lui des yeux plus libres et plus satisfaits qu’il n’avait fait depuis longtemps. Sans doute ce fut pour lui un stimulant pour son énergie, un aiguillon pour son courage, car, pendant les deux premières semaines, il se leva plus matin et se coucha plus tard pour consacrer toutes ses heures de liberté à l’étude des mystères de la tenue des livres et des autres règles de comptabilité commerciale. Il s’y appliqua avec tant de suite et de persévérance, que, malgré son ignorance antérieure de ces connaissances spéciales, il y fit de grands progrès. Jusque-là la science du commerce s’était bornée pour lui, dans sa pension, à l’énoncé de deux ou trois nombres d’une longueur démesurée, sur un cahier d’arithmétique, décoré, pour flatter l’œil des parents, de l’effigie d’un gros cygne que la main du maître d’écriture s’était surpassée à dessiner en contours élégants ; néanmoins, au bout d’une quinzaine de zèle et de patience, il se trouva en état de confier à