Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/72

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

comme un coup de foudre qui m’a glacé le sang. Vous savez que le fond de son jardin touche au fond du nôtre ; j’ai donc pu le voir bien des fois, assis sous son petit berceau au milieu de ses haricots rouges, en soignant ses melons sur couche ; je voyais bien qu’il me regardait souvent fixement, mais je n’y faisais pas attention, parce qu’en notre qualité de nouveaux venus, nous devions nous attendre à piquer la curiosité de nos voisins ; mais, quand il s’est mis à nous jeter ses concombres par-dessus le mur mitoyen…

— Jeter ses concombres par-dessus notre mur ! répéta Nicolas ébahi.

— Oui, mon cher Nicolas, répéta Mme Nickleby d’un ton sérieux, ses concombres par-dessus notre mur, et même ses potirons.

— L’impudent coquin ! dit Nicolas prenant feu tout de suite, quelles peuvent être ses intentions ?

— Je ne crois pas du tout que ses intentions aient rien d’inconvenant, répliqua Mme Nickleby.

— Comment ! dit Nickleby, jeter des concombres et des potirons à la tête des gens pendant qu’ils se promènent dans leur jardin, et on viendra me dire que c’est dans des intentions qui n’ont rien d’inconvenant ! »

Nicolas s’arrêta tout court, car il put voir une expression indicible de triomphe calme et tranquille, mêlée à une confusion pleine de modestie, couver sous les garnitures à petits plis du bonnet de nuit de Mme Nickleby ; son attention s’éveilla donc tout à coup.

« Que l’on dise que c’est un homme très imprudent, étourdi, léger, dit Mme Nickleby, blâmable même (au moins je suppose qu’il y a des gens qui pourraient le juger ainsi) ; moi je ne puis naturellement m’exprimer aussi sévèrement à son égard, surtout après avoir si souvent défendu votre pauvre cher papa contre l’opinion publique, qui le blâmait de me rechercher en mariage, quoiqu’à dire vrai, je pense aussi que ce monsieur aurait pu trouver un autre moyen de me faire connaître ses sentiments. Mais enfin, jusqu’à présent et dans la mesure discrète qu’il a observée, ses attentions n’en sont pas moins plutôt flatteuses qu’autrement, et, quoique je ne doive jamais songer à me remarier, tant que je n’aurai point établi ma chère petite Catherine…

— Mais assurément, ma mère, il est impossible qu’une pareille idée vous ait même un instant traversée la cervelle.

— Mon Dieu, mon cher Nicolas, répliqua sa mère d’un ton