Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/75

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Il faut rendre justice à Mme Nickleby ; elle aimait trop véritablement ses enfants pour songer sérieusement à convoler en secondes noces, quand elle aurait assez oublié le souvenir de son défunt mari pour se sentir entraînée par son inclination vers de nouveaux liens. Mais s’il n’y avait pas en elle de mauvais instinct ni d’égoïsme étroit dans son cœur, c’était une tête faible et vide. Et elle trouvait quelque chose de si flatteur pour son amour-propre à pouvoir se dire qu’elle avait fait à son âge une passion, et une passion malheureuse, qu’elle ne pouvait se résoudre à congédier lestement et avec aussi peu de ménagement que Nicolas l’exigeait d’elle, le gentleman inconnu qui lui avait procuré le plaisir de lui refuser sa main. Quant à ces épithètes d’imbécile, ridicule, stupide, dont Nicolas n’avait pas été chiche, « je ne vois pas cela du tout, se disait Mme Nickleby, conversant avec elle-même dans sa chambre ; son amour est un amour sans espoir, c’est vrai, mais j’avoue que je ne vois pas du tout que ce soit pour cela un vieux stupide ni un vieil idiot. Le pauvre garçon ! il est à plaindre, selon moi, et voilà tout. »

Mme Nickleby ne termina pas ces réflexions sans donner un coup d’œil au miroir de sa toilette ; elle recula même de quelques pas pour mieux juger l’effet et chercher à se rappeler qui donc lui avait toujours prophétisé que, quand Nicolas aurait vingt et un ans, elle aurait plutôt l’air de sa sœur que de sa mère. Après avoir vainement essayé de se remémorer le nom de son autorité, elle se décida à mettre l’éteignoir sur sa bougie, et leva la jalousie, pour donner passage au petit jour qui commençait à poindre.

« Il ne fait pas bien clair pour distinguer les objets, murmura Mme Nickleby en regardant par la fenêtre dans le jardin ; mais je crois, ma parole d’honneur ! qu’il y a encore un autre énorme potiron, planté, en ce moment, au bout des tessons de bouteilles qui garnissent le mur mitoyen. »