Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/77

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à qui je pensais : savez-vous que je remarque un grand changement dans un membre de cette famille, un changement très extraordinaire ?

— Qui donc ? demanda Catherine d’un air inquiet ; ce n’est toujours pas…

— Non, ma chère, non ce n’est pas votre frère, répondit miss la Creevy allant au-devant de sa question : celui-là, c’est toujours la même perfection de bonté, de tendresse, d’esprit, assaisonnée d’un peu de je ne veux pas dire quoi dans l’occasion ; lui, il n’a pas changé depuis que je l’ai vu pour la première fois ; non, mais c’est Smike, comme il veut qu’on l’appelle ce pauvre garçon, car il ne veut pas entendre parler de mettre un monsieur devant son nom. Eh bien ! Smike a terriblement changé en peu de temps.

— Comment cela ? demanda Catherine, je ne vois rien dans sa santé…

— Non : dans la santé, c’est possible, dit miss la Creevy après un moment de réflexion : quoique ce soit une existence bien frêle et bien usée, et que je lui trouve une mine qui me navrerait le cœur si je la voyais chez vous. Mais non, je ne voulais pas parler de la santé.

— Eh bien ! alors ?

— Je ne sais pas trop, continua miss la Creevy, mais je l’ai observé, et il m’a fait venir bien des fois les larmes aux yeux. Vous me direz que ce n’est pas très difficile, parce que je pleure d’un rien ; mais c’est égal, je crois qu’ici ce n’est pas malheureusement sans cause et sans raison. Il me semble que, depuis qu’il est ici, il a eu quelque motif particulier de reconnaître de plus en plus la faiblesse de son intelligence ; il y est plus sensible quand il s’aperçoit qu’il divague de temps en temps, et qu’il ne peut pas comprendre les choses les plus simples ; il en éprouve plus de chagrin. Je l’ai bien regardé, quand vous n’y étiez pas, ma chère, assis à part d’un air si triste, qu’il faisait peine à voir. Puis après, quand il se levait pour sortir, il était dans un tel état de mélancolie et d’abattement, que je ne puis pas vous dire toute la peine que j’en ressentais. Il n’y a pas plus de trois semaines, c’était un garçon sans souci, remuant, d’une gaieté bruyante, enfin, à ce qu’il semblait, heureux tout le long du jour. Aujourd’hui, ce n’est plus rien de tout cela ; c’est toujours une nature dévouée, innocente, fidèle, aimante ; mais pour le reste, plus rien.

— Espérons que cela passera, dit Catherine : le pauvre garçon !