Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/79

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en faisant autant de bruit pour le moins qu’une douzaine de haquets.

Laissons-le poursuivre son voyage, au gré du conducteur que nous venons de voir si important et qui maintenant se balance avec grâce, sur son petit marchepied par derrière, reprenant son cigare odoriférant. Laissons-le s’arrêter, repartir, galoper ou trottiner, selon que cet estimable fonctionnaire le juge bon et convenable ; l’occasion nous tente d’aller chercher des nouvelles de sir Mulberry Hawk et de nous informer si, depuis que nous l’avons quitté, il s’est bien remis du mal qu’il s’était fait en tombant violemment de son cabriolet, lors de sa querelle avec le fougueux Nicolas.

Le voilà avec une côte brisée, le corps tout meurtri, la figure endommagée par des cicatrices toutes fraîches, pâle encore et épuisé par la douleur et par la fièvre, étendu sur le dos dans le lit qui le retient, par ordre du médecin, prisonnier pour quelques semaines encore. Dans la pièce voisine, M. Pyke et M. Pluck sont à table, occupés à boire copieusement, variant de temps en temps les murmures monotones de leur conversation par un éclat de rire à moitié étouffé pendant que le jeune lord, le seul membre de leur société qui ne fût pas tout à fait perdu sans remède, car c’était dans le fond un cœur honnête, est assis à côté de son mentor, un cigare à la bouche, et se dispose à lui lire, à la lueur d’une lampe, les passages et les nouvelles qu’il choisit dans le journal, les plus propres, à ce qu’il lui semble, à intéresser ou amuser son malade. « Maudits chiens ! dit sir Mulberry, en retournant avec impatience la tête du côté de la pièce voisine, rien ne peut donc faire taire leur infernal gosier. »

MM. Pyke et Pluck, en entendant cette exclamation, s’arrêtent immédiatement en se faisant l’un à l’autre un signe d’intelligence, et se versant une rasade en dédommagement du silence qui leur était imposé.

« Morbleu ! murmura-t-il entre ses dents, en se tordant de colère dans son lit, ce matelas n’est-il pas assez dur, cette chambre assez triste, et mes douleurs assez cuisantes sans qu’ils me mettent encore à la torture ! Quelle heure est-il ?

— Huit heures et demie, répondit son ami.

— Tenez ! approchez la table et reprenons les cartes, dit sir Mulberry ; encore un piquet, allons ! »

Il était curieux de le voir au milieu de ses souffrances, incapable de se remuer, si ce n’est pour tourner la tête de droite ou de gauche, observer tous les mouvements de son jeune ami, à chaque carte jouée. Quelle ardeur et quel intérêt il apportait au