Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/110

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mières apparurent et que le voyageur pénétra dans l’enceinte bénie de la ville.

Il alla à l’auberge où jadis il avait attendu Martin, et ayant brièvement répondu aux questions qu’on lui fit sur M. Pecksniff, il demanda un lit. Il n’avait pas le cœur soit à prendre le thé soit à souper, à manger ou boire quoi que ce fût ; mais il s’assit à une table vide dans le salon, tandis qu’on lui apprêtait son lit, repassant dans son esprit tout ce qui était arrivé pendant cette journée mémorable, et s’interrogeant avec stupeur sur ce qu’il allait pouvoir faire dans l’avenir. Ce fut pour lui un grand soulagement quand la servante entra et lui dit que le lit était prêt.

C’était un lit à colonnes, bas et creux au milieu comme une auge ; la chambre était obstruée de tables hors de service et de commodes de rebut, toutes couvertes de linge humide. Au-dessus de la cheminée s’étalait une pittoresque peinture à l’huile représentant un bœuf remarquablement gras, et près de là, également au pied du lit, brillait aussi le portrait de quelque ancien maître de la maison, qu’on pouvait aussi bien prendre pour le frère du bœuf, tant il lui ressemblait exactement. Une collection variée d’étranges odeurs était en partie confondue dans un parfum dominant de très-vieille lavande ; et la fenêtre n’avait pas été ouverte depuis si longtemps, qu’il y avait prescription ; elle ne voulait plus s’ouvrir.

Tous ces détails étaient en eux-mêmes sans importance ; mais ils ajoutaient à l’étrangeté du lieu, et n’étaient pas de nature à faire oublier à Tom sa nouvelle position. Pecksniff était parti de ce monde, ou plutôt il n’avait jamais existé, et c’est tout au plus si Tom put se résoudre à dire ses prières sans lui. Cependant il se sentit plus heureux après et s’endormit ; il rêva qu’il y avait une fois un Pecksniff qui n’avait jamais existé.