Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/113

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Pecksniff ; nos gentlemen l’ont constamment à la bouche) ; il y avait une petite castille toute pacifique, quand soudain notre jeune homme se leva écumant de rage, et, s’il n’avait été retenu par trois de ces messieurs, il eût tué M. Jinkins avec un tire-bottes. »

Le visage de miss Pecksniff exprimait une indifférence suprême.

« Et maintenant, dit Mme Todgers, maintenant c’est le plus doux des hommes. Il suffit de le regarder pour lui tirer des larmes des yeux. Le dimanche, il reste assis près de moi tout le long du jour, parlant d’une voix si triste, que c’est tout au plus si je trouve ensuite assez de force morale pour m’occuper des soins à donner à mes pensionnaires. Sa seule consolation est dans la société des dames. Il me mène souvent au théâtre à demi-place, tellement que je crains quelquefois qu’il ne dépasse ses moyens, et je vois des larmes mouiller ses yeux durant tout le temps, surtout si la pièce est d’une nature comique. Personne ne s’imaginerai la peur qu’il m’a causée hier, ajouta Mme Todgers, portant la main à son cœur. Tenez, j’étais ici : la servant avait laissé tomber par la fenêtre de sa chambre son tapis de lit… Je crus que c’était ce malheureux, et qu’enfin il avait fait son coup ! »

Le froid dédain avec lequel miss Charity accueillit le récit pathétique de l’état auquel le jeune gentleman était réduit, n’annonçait pas beaucoup de sympathie pour cet infortuné. Elle traita cette question avec une grande légèreté, et coupa court à la conversation en s’informant s’il n’était pas survenu quelque autre changement dans la pension bourgeoise des gentlemen du commerce.

M. Bailey, lui apprit-on, était parti, et il avait eu pour successeur (ô déclin des grandeurs humaines ! ) une vieille femme qui s’appelait, disait-on, Tamaroo, chose évidemment impossible. Il fut démontré plus tard que les malins pensionnaires avaient tiré ce mot d’une ballade anglaise, dans laquelle il est censé exprimer la rude et ardente nature d’un certain cocher de fiacre, et que ce nom fut appliqué au successeur femelle de M. Bailey, par la raison que cette brave femme n’avait en elle rien du tout qui dénotât une nature ardente, sauf par occasion quelques attaques de ce qu’on appelle le feu de Saint-Antoine. Cette duègne avait été prise dans la maison en accomplissement d’un vœu fait par Mme Todgers, qui s’était promis que jamais plus, à l’avenir, de jeunes drôles ne terniraient de