Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/115

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le pauvre jeune homme, ce qui lui valut en sus une remontrance de Mme Todgers.

« Jusqu’à elle qui s’éloigne de moi, madame Todgers ! dit Moddle.

– Dame ! aussi, pourquoi ne faites-vous pas quelque effort afin d’être un petit peu plus gai, monsieur ? répliqua Mme Todgers.

– Plus gai, mistress Todgers ! plus gai ! s’écria le jeune gentleman, quand sa vue me rappelle des jours à jamais évanouis, mistress Todgers !

– Alors, s’il en est ainsi, vous feriez mieux de l’éviter pendant quelque temps et de refaire après connaissance avec elle, petit à petit ; voilà mon avis.

– Mais je ne puis l’éviter, répliqua Moddle ; je n’ai pas assez de force d’esprit pour cela. Oh ! mistress Todgers, si vous saviez quelle consolation je trouve dans son nez !

– Son nez, monsieur ! s’écria mistress Todgers.

– Son profil en général, dit le jeune gentleman, mais particulièrement son nez. » Puis, s’abandonnant à un flux de douleur, il ajouta : « Il ressemble tellement à celui de celle qui est à un autre, mistress Todgers ! »

La clairvoyante matrone ne manqua point de reporter cette conversation à Charity qui commença par rire, mais qui, à partir du soir même, traita M. Moddle avec un surcroît de considération et lui présenta son profil autant que possible. M. Moddle ne fut pas moins sentimental que de coutume ; il le fut même un peu plus ; cependant il resta assis à contempler Charity avec des yeux brillants et une expression reconnaissante.

« Eh bien ! monsieur, dit le lendemain la maîtresse de la pension bourgeoise, vous avez relevé la tête hier au soir. Voilà que vous commencez à vous retourner, j’imagine.

– C’est seulement parce qu’elle ressemble tant à celle qui est à un autre, mistress Todgers, répondit le jeune homme. Quand elle parle et quand elle sourit, je crois revoir le sourcil de sa sœur, mistress Todgers. »

Ceci fut reporté de même à Charity, qui, le soir suivant, parla et sourit de la manière la plus séduisante, plaisantant M. Moddle sur l’abattement de son esprit, et le provoqua à jouer une partie de cribbage. M. Moddle ramassa le gant. Ils jouèrent plusieurs parties de cribbage à six pence, et Charity les gagna toutes. On eût pu attribuer ce résultat à la galanterie du