Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/117

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miss Pecksniff, c’était aussi clair et visible que le soleil en plein midi.

« Ma chère miss Pecksniff, dit mistress Todgers, vous pouvez tenir pour certain qu’il brûle d’envie de se déclarer.

– Mon Dieu ! pourquoi donc alors n’en fait-il rien ? s’écria Cherry…

– Les hommes sont beaucoup plus timides que nous ne le croyons, ma chère, répliqua mistress Todgers. Ils se déconcertent pour un rien. J’ai vu les paroles voltiger sur les lèvres de Todgers pendant des mois, des mois et des mois, avant qu’il se prononçât. »

Miss Pecksniff insinua que M. Todgers n’était pas un bon exemple à citer.

« Oh ! pardon. Oh ! certainement si, ma chère, Dieu merci. J’étais très-gentille dans ce temps-là, je vous assure, dit mistress Todgers en se rengorgeant. Tenez ! vous avez donné à M. Moddle trop peu d’encouragement. Miss Pecksniff, si vous désirez qu’il parle, et qu’il parle vite, la chose dépend de vous.

– Mais je ne sais point du tout quel encouragement il faut lui donner, mistress Todgers. Il se promène avec moi, il joue avec moi aux cartes, et il vient s’asseoir seul à côté de moi.

– Fort bien, dit mistress Todgers. C’est indispensable, ma chère.

– Et il s’assied tout près de moi.

– C’est également très-bien, dit mistress Todgers.

– Et il me regarde.

– Je crois bien ! dit mistress Todgers.

– Et il appuie son bras sur le dossier de la chaise ou du sofa, n’importe, derrière moi, bien entendu.

– Certainement, dit mistress Todgers.

– Et alors il commence à pleurer. »

Mistress Todgers reconnut qu’il pouvait faire mieux que cela, et que sans doute il mettrait à profit le souvenir du signal donné par le grand lord Nelson, à la bataille de Trafalgar. Au reste, dit-elle, il irait rondement ou, à ne rien se dissimuler, il serait mené rondement, si miss Pecksniff prenait une position décidée, et lui montrait tout uniment ce qu’il avait à faire.

Déterminée à régler sa conduite d’après cette opinion, la jeune demoiselle reçut M. Moddle, dans les occasions qui se présentèrent ensuite, avec un air de contrainte, et, l’amenant par degrés à lui demander avec inquiétude pourquoi elle était si changée, elle lui avoua que, pour leur repos et leur