Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/131

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guissant et faible, lorsque le malheur qu’il avait tant redouté fondit sur eux. Mark tomba malade à son tour.

Mark lutta contre le mal ; mais le mal l’emporta dans la lutte et brisa ses efforts.

« Me voilà présentement terrassé, monsieur, dit-il un matin en se laissant tomber sur son lit ; mais je n’en suis pas moins de bonne humeur. »

Oui, il était terrassé, et le coup était terrible ! Il n’y avait que Martin pour ne pas voir ça tout de suite.

Si les amis de Mark s’étaient montrés tendre pour Martin (et ils l’avaient été au plus haut degré), ils le furent vingt fois plus pour Mark. C’était à présent le tour de Martin de travailler, de rester assis en veillant auprès du lit, et d’écouter à travers les longues, longues nuits, le moindre bruit dans la lugubre solitude, et d’entendre le pauvre Tapley, dans l’égarement de son délire, jouant aux quilles à l’auberge du Dragon, tenants de galants propos à mistress Lupin, faisant son apprentissage de marin à bord du Screw, cheminant en compagnie du vieux Tom Pinch sur les routes d’Angleterre, et brûlant des troncs d’arbre à Éden, le tout ensemble.

Mais soit que Martin lui donnât de la tisane, ou quelque médicament, ou l’assistât de ses soins, ou rentrât au logis en revenant de faire dehors quelque besogne fatigante, le patient Tapley s’écriait d’une voix gaie : « Je suis toujours jovial, monsieur, je suis jovial ! »

Et maintenant, quand Martin commença à penser à tout cela et à considérer Mark étendu dans son lit, Mark qui jamais ne faisait entendre un reproche ni un murmure, pas même une expression de regret, et qui s’efforçait de rester ferme et courageux, il se mit à réfléchir et à se demander comment l’homme que le ciel avait si peu favorisé l’emportait tellement sur celui qui avait reçu tant de dons en partage. Et comme c’était un grand sujet de méditation que de veiller près du lit d’un malade, et surtout d’un malade qu’il avait été habitué à voir plein d’activité et d’énergie, il commença aussi à se demander en quoi lui et Mark différaient l’un de l’autre.

La présence fréquente de l’amie de Mark, la femme qui avait traversé l’Océan sur le même bâtiment, ne fut pas moins éloquente pour fournir à Martin la conclusion de sa thèse. Cela lui rappela combien il avait tenu une conduite différente de celle de Mark Tapley, quand celui-ci, par exemple, avait as-