Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/150

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également parés ; et, lorsqu’ils entrèrent en corps dans le salon des dames, un grand nombre de dames et de gentlemen qui attendaient battirent des mains en criant : « Pogram ! Pogram ! » et quelques-uns montèrent sur des chaises pour le voir.

Le héros de cette ovation populaire souriait et parcourait la salle du regard tandis que le comité la traversait ; en même temps il faisait observer au jeune homme à la voix glapissante qu’il connaissait bien déjà la beauté des femmes de leur commune patrie, mais que jamais il ne l’avait vue briller d’un tel éclat ni d’une telle perfection. Ce que le jeune homme glapissant transcrivit dans le journal du lendemain, à la grande surprise d’Elijah Pogram.

« Nous vous prierons, monsieur, s’il vous plaît, dit Buffum, posant les mains sur M. Pogram comme s’il lui prenait mesure pour un habit, de vouloir bien vous asseoir contre la muraille, à droite, dans le coin le plus reculé, afin que nos concitoyens aient plus de place. Nous serions fort heureux si vous pouviez vous adosser contre la patère du rideau, monsieur, en tenant votre jambe gauche parfaitement immobile derrière le poêle. »

M. Pogram fit ce qu’on lui demandait, et se serra dans un si petit coin que la statue de Pogram ne l’y eût pas reconnu.

Alors commencèrent les plaisirs de la soirée. Des gentlemen présentèrent des dames, puis ils se présentèrent eux-mêmes, puis ils se présentèrent les uns les autres ; ils demandaient à Elijah Pogram ce qu’il pensait de telle ou telle question politique, puis ils le regardaient et se regardaient de l’air le plus ennuyé du monde. Les dames montées sur les chaises contemplaient Elijah Pogram à travers leurs lorgnons et disaient à haute voix : « Je voudrais bien qu’il parlât. Pourquoi ne parle-t-il pas ? Oh ! priez-le donc de parler ! » Et Elijah Pogram partageait ses regards entre les dames et le reste de l’assistance, prononçant des opinions parlementaires, à mesure qu’on lui en demandait. Mais le principal objet du meeting semblait être de ne laisser, à aucun prix, Elijah Pogram s’échapper de son coin : tant ils l’y tenaient serré et surveillé de près.

Dans le cours de la soirée, il se fit un grand mouvement à la porte : c’était le signe d’arrivée d’une personne notable. Immédiatement après, on vit un vieux gentleman très-exalté se ruer sur la foule et se frayer un chemin vers l’honorable Elijah Pogram. Martin, qui avait trouvé un petit poste d’ob-