Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/21

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qui revenaient bien vite sur leurs pas, il demandait si elles n’allaient pas à l’hôpital commander leur enterrement. Il invitait, par des paroles amicales, tous les gamins à grimper derrière sa voiture, pour avoir le plaisir de les faire dégringoler à coups de fouet. Puis, quand il s’était mis en frais de belle humeur, il courait au grand galop autour de Saint-James-Square, et revenait déboucher au pas dans Pall Mall par une autre entrée, comme si dans l’intervalle il n’avait fait qu’aller à pas de tortue.

M. Bailey avait fréquemment renouvelé ces escapades, au grand péril de l’étalage de pommes situé au coins de la rue, lequel n’avait échappé que par miracle et pouvait désormais, après tant d’assauts, passer pour imprenable, lorsqu’il fut appelé à la porte d’une certaine maison de Pall Mall et, tournant court, obéit aussitôt à cet ordre et sauta à bas du cabriolet. Il tint la bride quelques minutes, tandis que le frère de Chou-Fleur secouait vivement la tête, ouvrait ses naseaux et piaffait. Deux personnes montèrent dans la voiture ; l’une d’elles prit les guides et se lança au grand trot. Ce ne fut qu’après avoir couru inutilement plusieurs centaines de pas que M. Bailey parvint à poser sa petite jambe sur le marche-pied et à installer finalement ses bottes sur l’étroite planchette qui se trouvait derrière la voiture. C’est là qu’il était curieux à voir : perché tantôt sur un pied, tantôt sur l’autre, jetant les yeux tantôt d’un côté du cabriolet, tantôt de l’autre, essayant même, mais ce n’était qu’une frime, de regarder par-dessus le léger véhicule, tandis qu’il passait à travers les charrettes et les équipages. M. Bailey était de la tête aux pieds le vrai groom de Newmarket.

Quant au maître de M. Bailey, sa tenue, pendant qu’il conduisait, justifiait complètement la description enthousiaste que le jeune garçon en avait faite à Poll ébahi. Sur sa tête, ses joues, son menton et sa lèvre supérieure, il y avait tout un monde de cheveux et de poils du noir de jais le plus brillant. Ses habits, d’une coupe savante, étaient des plus à la mode et du prix le plus élevé. Son gilet était chamarré de fleurs or et azur, vert et rose tendre ; sur sa poitrine étincelaient des bijoux et des chaînes précieuses ; ses doigts, surchargés de bagues brillantes, étaient aussi embarrassées de leurs mouvements que ces mouches d’été qui viennent de s’échapper du fond d’un pot enduit de miel. Les rayons du soleil se reflétaient dans son chapeau bien lisse et dans ses bottes vernies, comme dans une