Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/237

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faisait au milieu des livres, dont le catalogue, soigneusement écrit, avait une fort belle apparence. Pendant ses heures d’occupation, Tom se permettait parfois quelques lectures qui, du reste, étaient souvent nécessaires à son classement. Généralement il emportait chez lui, le soir, un de ces mystérieux volumes (qu’il avait toujours soin de rapporter le lendemain matin, dans la crainte que son étrange patron n’apparût tout à coup pour lui en demander compte) ; de sorte qu’il menait une vie heureuse, tranquille et studieuse, une vie selon son cœur.

Mais quelque intéressants que fussent ces livres, quelque nouveaux qu’ils semblassent à Tom, ils n’avaient pas le pouvoir de l’enchaîner dans ces chambres mystérieuses, au point de ne pas entendre le moindre son, si léger qu’il fût. Il prêtait l’oreille aussitôt qu’un bruit de pas résonnait dans la cour, et, si ces pas pénétraient dans la maison et montaient l’escalier, il se disait toujours avec un battement de cœur : « Je vais donc enfin le voir face à face ! » Mais tous les pas s’arrêtaient au-dessous, excepté les siens.

Cette solitude, ce mystère, firent naître dans l’imagination de Tom des fantaisies dont son bon sens faisait justice, sans pouvoir toutefois s’en débarrasser tout à fait. Notre bon sens à presque tous, en cas semblable, ressemble à la vieille police française, très-prompte pour découvrir, mais très-lente pour prévenir les délits. Tom avait l’impression indéfinie, absurde, inexplicable, qu’il se cachait quelqu’un dans les chambres d’en haut, quelqu’un qui marchait tout doucement au-dessus de sa tête, qui le surveillait par le trou de la serrure, qui faisait je ne sais quoi partout où il n’était pas. Cette hallucination lui revenait cent fois par jour ; alors il s’empressait d’ouvrir la fenêtre, et il n’était pas fâché de fraterniser de là même avec les oiseaux qui avaient élu domicile sur le toit et dans les gouttières, et qui sautillaient toute la journée autour des croisées.

Il laissait toujours la porte d’entrée ouverte, afin d’entendre les pas des gens qui montaient et qui pénétraient dans les appartements des étages inférieurs. Il se formait aussi de singulières préventions sur la mine de certains étrangers qu’il rencontrait dans les rues, et il se disait de tel ou tel homme qui le frappait comme ayant quelque chose d’insolite dans le costume ou dans l’aspect : « Je ne serais pas étonné que ce fût lui ! » Mais ce n’était jamais lui. Il alla plusieurs