Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/242

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et faisait de vains efforts pour apercevoir les paquebots ; il en conclut qu’elle l’avait attaqué à dessein, et qu’elle le considérait comme son ennemi naturel, à cause de la place qu’il occupait au premier rang.

« Il faut que vous ayez un bien mauvais caractère, » dit Tom.

La dame en question s’écria avec férocité :

« Où est donc la police ? »

Puis, brandissant son parapluie dans la figure de Tom :

« Si ces gredins-là n’étaient pas toujours ailleurs quand on a le plus besoin d’eux, je vous aurais fait empoigner, et ferme, dit-elle. Vaudrait mieux graisser un peu moins leurs favoris, et faire un peu mieux leur devoir, quand ils sont si bien payés ; au moins on ne serait pas écrasé comme ça. »

En effet, il fallait qu’elle eût été fort maltraitée dans la foule ; car son chapeau déformé ressemblait pour l’instant à un tricorne. De plus, c’était une petite femme d’un excessif embonpoint, de sorte qu’elle était épuisée de fatigue et de chaleur.

Tom, au lieu de continuer la discussion, lui demanda dans quel bâtiment elle voulait s’embarquer.

« Je présume qu’il n’y a que vous, répondit la dame, qu’a le droit de voir les bateaux sans avoir envie de monter dessus ? Imbécile, va !

– Lequel alors voulez-vous voir ? demanda Tom. Nous tâcherons de vous faire un peu de place. Mais ne soyez pas de si mauvaise humeur.

– Il n’y a pas une seule de ces chères créatures que j’ai soignées dans des moments difficiles, dit la dame en se radoucissant un peu, et le nombre en est grand ! qui m’ait jamais accusée d’être de mauvaise humeur. « Si vous sentez que ça vous soulage, madame, que je leur dis, ne vous gênez pas pour me contrarier. Vous savez bien que Sarah ne vous rendra jamais la pareille. » Mais aujourd’hui je suis agacée, je ne dis pas que non, et ce n’est pas sans raison, Dieu merci ! »

Cependant mistress Gamp (car c’était elle-même) avait réussi, avec le secours de Tom, à s’insinuer dans un petit coin entre Ruth et la balustrade ; quand elle eut repris haleine et qu’elle eut exécuté avec son parapluie une série de manœuvres des plus dangereuses, elle parvint à s’établir convenablement.

« Dieu ! que je voudrais donc savoir lequel de tous ces monstres qui fument est le bateau d’Anvers ! s’écria mistress Gamp.