Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/262

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bout dans un coin de la chambre, et de représenter alternativement le meurtrier et la victime ; ce qu’il fit au naturel. La bouteille était vide, l’histoire était achevée, et Jonas était toujours dans la même exaltation d’humeur folâtre qu’auparavant. Si la théorie de Jobling était juste, et que la bonne digestion de cet honnête garçon en fût la cause, il fallait donc qu’il eût un estomac d’autruche.

À dîner, il fut tout de même ; et après le dîner aussi, quoiqu’on bût du vin en abondance, et qu’on mangeât des mets recherchés et variés. À neuf heures, toujours le même. Comme il y avait une lampe dans la voiture, il jura qu’il emporterait un jeu de cartes et une bouteille de vin, et il descendit en effet avec ces objets sous son manteau.

« Au large, Tom Pouce, et va te coucher ! »

Ce fut la consolation qu’il adressa à M. Bailey, qui, enveloppé et chaussé de ses bottes à revers, se tenait à la portière de la voiture pour l’aider à monter.

« Me coucher, monsieur, mais je pars aussi, » dit Bailey.

Jonas descendit vivement, et, tenant M. Bailey par le collet de son habit, il rentra dans le vestibule, où Montague allumait un cigare.

« Vous n’allez pas emmener ce gamin-là, n’est-ce pas ?

– Si fait, dit Montague, je l’emmène. »

Jonas secoua l’enfant, et le repoussa rudement. De toutes ses actions de la journée, c’était celle qui répondait le mieux à son caractère habituel de familiarité brutale ; mais aussitôt il éclata de rire ; et, après avoir porté une botte au docteur avec sa main, pour imiter la répétition que lui avait donnée le matin l’ami médical dans son rôle d’assassin, il sortit, remonta dans la voiture et s’y assit. Son compagnon le suivit immédiatement. M. Bailey grimpa par derrière.

« Il y aura de l’orage cette nuit ! » s’écria le docteur au moment où ils partaient.