Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/272

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une minute ! dit Jonas. Vous savez pourtant bien qu’il peut mourir en attendant ?

– Oui, oui ! je le sais. Mais nous resterons tous ensemble. »

Il était évident que rien n’ébranlerait sa résolution. Jonas ne fit d’autre réponse que celle du mépris qui se lisait sur son visage. Ils avaient encore trois ou quatre bons milles à parcourir, et ce n’était pas facile, vu le mauvais état des routes, le fardeau dont ils étaient embarrassés, et la sensation de roideur douloureuse qu’ils éprouvaient dans tous les membres. Après une marche longue et pénible, ils arrivèrent à une auberge dont ils réveillèrent les gens (car il était encore de très-bonne heure). Ils envoyèrent des messagers pour s’occuper de la voiture et de son contenu, et firent éveiller un chirurgien pour qu’il donnât ses soins à celui qui avait le plus souffert. Le praticien fit promptement et habilement tout ce qu’il pouvait faire. Mais il fut d’avis que l’enfant avait une congestion cérébrale, et que la carrière mortelle de M. Bailey était fournie. Si l’intérêt que témoigna Montague en apprenant cette nouvelle eût paru le moins du monde dépourvu d’égoïsme, c’eût été un trait honorable dans un caractère qui n’était pas riche en traits de cette nature. Mais il n’était pas difficile de voir qu’il avait quelque raison cachée dont il appréciait seul l’importance, d’attacher une si grande valeur à la société et à la présence de ce jeune garçon. Lorsque, après avoir reçu lui-même les soins du médecin, il se retira au grand jour dans sa chambre, cette préoccupation l’y suivit.

« J’aurais donné mille guinées, disait-il, plutôt que de perdre ce garçon dans un moment pareil. Mais je m’en retournerai seul ; j’y suis résolu. Chuzzlewit partira d’abord, et moi je le suivrai à loisir. Je ne veux plus de cela, ajouta-t-il en essuyant son front moite ; il ne faudrait pas plus de vingt-quatre heures pareilles pour que mes cheveux devinssent tout gris. »

Quoiqu’il fît grand jour, ainsi que nous l’avons dit, il examina sa chambre, regarda sous le lit, dans les armoires, et même derrière les rideaux avec une précaution extraordinaire. Il ferma à double tour la porte par laquelle il était entré, et il se mit au lit. Il y avait encore une porte dans sa chambre ; mais elle était fermée à clef de l’autre côté, et il ignorait sur quoi elle donnait.

Dans tous ses rêves, ses craintes ou sa mauvaise conscience lui représentèrent cette porte. Il rêva qu’il s’y rattachait un