Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/28

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« Place au Président ! Place au Président, s’il vous plaît ! » à la grande admiration des assistants dont, cela va sans dire, l’attention était de cette manière attirée sur la Compagnie Anglo-Bengali. M. Tigg descendit gracieusement, suivi du directeur gérant (qui se tenait à une distance respectueuse), et monta l’escalier, précédé encore par le garçon de bureau qui criait tout en s’avançant : « Avec votre permission ! avec votre permission ! Le président du Conseil, Gentle-MEN ! » Il enfla encore sa voix de stentor pour annoncer de même le président dans le bureau, où quelques modestes clients étaient occupés à régler leurs affaires, et l’introduisit dans une salle majestueuse, étiquetée Salle du Conseil. La porte de ce sanctuaire se referma immédiatement et déroba le grand capitaliste aux regards du vulgaire.

La Salle du Conseil était garnie d’un tapis de Turquie, d’un buffet, d’un portrait de Tigg Montague, esquire, dans ses fonctions de président, d’un fauteuil de bureau, avec un marteau d’ivoire et une petite clochette à poignée ; d’une table longue, garnie à intervalles égaux de cahiers de papier buvard, de papier ministre, de plumes neuves et d’écritoires. Le président ayant pris place avec une grande solennité, le secrétaire s’établit à la gauche, et le garçon de bureau se posa roide et droit derrière eux, formant avec son gilet un fond de tableau à teinte chaude. C’était là le Conseil ; le reste n’était qu’une petite fiction : histoire de rire.

« Bullamy ! dit M. Tigg.

– Monsieur ! … répondit le garçon.

– Allez porter mes compliments au fonctionnaire médical et prévenez-le que je désire le voir. »

Bullamy se racla le gosier et se précipita dans l’Office en criant : « Le président du Conseil désire voir le fonctionnaire médical. Passage, s’il vous plaît ! passage, s’il vous plaît ! »

Il ne tarda pas à revenir avec le gentleman en question ; et au moment où il ouvrit à deux battants la porte de la salle du Conseil, soit pour en sortir soit pour y rentrer, les clients naïfs se mirent à tordre le cou et à se dresser sur la pointe de leurs pieds, s’efforçant de glisser au moins un regard dans les profondeurs de cette salle mystérieuse.

« Jobling, mon cher ami, dit M. Tigg, comment cela va-t-il ? Bullamy, allez attendre à la porte. Crimple, ne nous quittez pas. Jobling, mon bon ami, je me réjouis de vous voir.

– Et vous, monsieur Montague, comment allez-vous, hein ?