Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/311

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Les buissons enfumés de la cour de la Fontaine avaient-ils encore assez de vie dans leur végétation maladive pour sentir la présence de la petite femme du monde la plus riante et la plus pure ? C’est un problème dont il faut laisser la solution aux jardiniers et à ceux qui sont versés dans les amours des plantes. Mais il n’y a pas le moindre doute que c’était une bonne fortune pour le pavé de cette cour d’être traversé par cette mignonne petite créature, et qu’un sourire semblait passer sur les vieilles maisons noircies et les dalles usées, qui redevenaient ensuite plus tristes, plus sombres, plus austères que jamais. La fontaine du Temple aurait dû s’élancer à vingt pieds de haut pour saluer la source de jeunesse et d’amour, dans la personne de Ruth, qui glissait vive et pétillante dans les canaux secs et poudreux de la Lis ; les moineaux élevés dans les trous et les crevasses du Temple auraient pu réprimer leurs glapissements pour écouter des chants d’alouettes imaginaires, quand cette fraîche petite créature passait ; les sombres rameaux, qui ne se penchaient que parce qu’ils n’avaient pas la force de se tenir droits, auraient pu se courber avec une grâce sympathique, pour laisser tomber leurs bénédictions sur cette tête gracieuse ; les vieilles lettres d’amour, enfermées dans les coffres de fer des bureaux environnants, oubliées au milieu des monceaux de papiers de famille où elles s’étaient égarées, et dont elles faisaient partie maintenant, pauvres dégénérées ! auraient pu s’agiter au souvenir de leur ancienne tendresse en entendant ses pas légers. Enfin toutes sortes de choses auraient pu arriver pour l’amour de Ruth, qui n’arrivèrent pas et n’arriveront jamais.

Quelque chose arriva pourtant, le jour dont nous parlons. Pas pour l’amour d’elle, oh ! non ! tout à fait par accident, et sans avoir le moindre rapport avec elle.

Soit qu’elle fût un peu en avance, soit que Tom fût un peu en retard (elle était en général exacte, à une demi-minute près), elle ne trouva pas Tom en arrivant. Bon ! mais alors elle vit donc une autre personne ? car, après avoir regardé tout autour de la cour, elle devint toute rouge, et descendit précipitamment les marches.

La vérité est que M. Westlock passait en ce moment. Le Temple est une voie publique ; on a beau écrire le contraire au-dessus des portes : tant qu’on en laissera les grilles ouvertes, c’est et ce sera une voie publique, et M. Westlock avait autant le droit d’y être que n’importe qui. Mais pour-