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AMI
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on en trouve auprès de Montauban, &c. Plusieurs personnes se sont vantées d’avoir la manière de filer l’amiante. Porta assure que de son temps on en filoit à Venise, & qu’il n’y avoit personne dans cette ville-là qui en ignorât la manière ; cependant il ne paroît pas possible de pouvoir en venir à bout sans le mélange de quelques laines souples, ou du chanvre de lin bien battu ; car les filamens de l’amiante sont trop cassans pour pouvoir en faire des ouvrages fins, & ce que nous en voyons aujourd’hui est très grossier. On faisoit autrefois tant de cas des ouvrages faits d’amiante, qu’on les estimoit presque autant que l’or ; & il n’y avoit que quelques Empereurs, ou des Rois, qui en eussent des serviettes. Cette grande rareté n’a pas empêché plusieurs Antiquaires de croire, après Pline, que l’amiante servoit à faire des chemises & des draps, dans lesquels on brûloit les corps des Rois & des Empereurs pour conserver leurs cendres, & empêcher qu’elles ne le mêlassent avec celles des bois & autres matières combustibles, dont on formoit leurs buchers. Mais les Historiens des Empereurs n’ont jamais fait mention de ces toiles, quoiqu’ils décrivent exactement la cérémonie qu’on observoit en brûlant ces corps, & les moyens qu’on avoit de ramasser les cendres des morts, ensorte qu’il est inutile d’avoir recours aux toiles d’amiante : d’ailleurs on trouve dans plusieurs urnes sépulcrales, des charbons mêlés parmi les cendres, ce qui fait assez voir que les Anciens n’étoient pas toujours si soigneux à ne ramasser que les seules cendres du mort. De cette erreur on est tombé dans une autre, en s’imaginant qu’on employoit l’amiante à faire des mèches perpétuelles aux lampes sépulcrales. Personne cependant n’y en a jamais observé. Il est vrai qu’on se sert à présent de mèches d’asbeste pour des lampes, auxquelles on ne veut guère toucher ; car l’amiante ne se consumant pas, on n’est pas obligé de tirer la mèche qui en est faite. On dit qu’autrefois on a vendu des morceaux d’amiante, pour du bois de la vraie Croix de Notre Seigneur ; & le public s’y laissoit aisément tromper, parce qu’on assuroit que la meilleure preuve pour reconnoitre ce bois précieux étoit de le mettre au feu, d’où il devoit sortir entier.

Il y a dans le Racolta d’opuse. T. IX, p. 381, une Dissertation sur l’amiante, par M. le Marquis Ubertin Landi de Plaisance, Capitaine des Gardes de la Duchesse douairière de Parme. Les Latins appellent l’amiante Amiantus, ex eo quòd incontaminatus è flammis exeat, parce qu’il sort du feu sans en être endommagé. Les Grecs le nomment ἄσβεστης, c’est-à-dire, inextinguible, parce qu’il se conserve dans le feu sans s’y consumer. Pline l’appelle, Lin vif, Linum vivum, Cœlius Rhodiginus, Lin de Carpasia, Linum Carpasium, de Carpasie, ville de Chypre, au septentrion de l’île. Solin le nomme Carbasum. Pausanias Caristia, parce qu’il s’en tiroit dans le voisinage de Caristo, château sur la mer Euboïque. Zoroastres lui donna le nom de Bostrichites, comme ressemblant aux frisures des cheveux des femmes. Albert le Grand le désigne par les mots Iscustus lapis, à cause de sa viscosité desséchée, ou plutôt Iscustus, Ixutus lapis, En grec ἰξός, viscum. Paul Vénitien, dans son voyage, lui donne le nom de Salamandra ; Langius dans ses Epitres, pluma Salamandra, plume de Salamandre. D’autres Auteurs, en grand nombre, l’appellent Lin des Indes, Linum Indum, parce qu’on l’apportoit des Indes.

L’amiante a deux propriétés merveilleuses, l’une est qu’il résiste au feu, & l’autre qu’on le peut filer & en faire de la toile. M. Landi prouve la première de ces propriétés par un grand nombre de passages d’Auteurs ecclésiastiques & profanes, anciens & modernes. Quelques-uns prétendent que le lumignon des lampes sépulcrales étoit d’amiante, & Damase rapporte dans la vie de S. Silvestre Pape, que l’Empereur Constantin avoit résolu de faire faire des lumignons d’amiante aux lampes de son baptistère à Rome, afin qu’elles ne s’éteignissent jamais ; bien entendu que l’on y fournissoit de l’huile quand il en étoit besoin. Louis Vivès assure dans ses Scholies sur S. Augustin, que lui & Pierre Garcias son compagnon d’études, ont vu à Paris plusieurs lampes, donc les lumignons ne se consumoient jamais ; & Aldrovandus prétend que si on réduisoit la pierre d’amiante en huile, qu’on la dépurât bien de toute humidité étrangère, & que par le moyen de la distillation on l’épaissît, il prétend, dis-je, qu’on en feroit une huile qui brûleroit toujours sans défaillir.

Quant à l’autre propriété, Pline dit qu’il a vu dans des salles à manger, des nappes d’amiante, que l’on nettoyoit de leurs taches, quand elles étoient sales, en les jetant au feu, d’où elles sortoient incomparablement plus propres & plus blanches, que si on les avoit lavées. Il dit encore que l’on mettoit les corps des Rois que l’on brûloit après leur mort dans des tuniques d’amiante, pour séparer leurs cendres de celles du bûcher. Hiéroclès dit le même des Brachmanes, & Pausanias des Athéniens. M. Landi prétend que l’art de travailler l’amiante, & d’en ourdir de la toile, étoit connu du temps d’Homère, & que les grands métiers que l’on voyoit, selon Madame Dacier, taillés dans la pierre, sur lesquels les Nymphes travailloient à des étoffes de pourpre qui étoient la merveille des yeux ; que ces métiers, dis-je, étoient de longues trames de pierre ; c’est-à-dire, d’amiante, dont les Nayades faisoient des étoffes de pourpre d’une beauté merveilleuse ; & il est certain que le mot ἱστός, dont se sert Homère, signifie également & la toile, & le métier sur lequel on travaille, & par conséquent ἱστὸι λίθεοι, peut aussi-bien désigner des toiles de pierre, que des métiers de pierre. Homère & Hésiode prennent ἱστός pour la toile, & peut-être paroîtra-t-il difficile à quelques gens, de concevoir un métier de tisserand qui soit de pierre, ou taillé dans la pierre, comme traduit Madame Dacier. Quoiqu’il en soit, M. le Marquis Landi prend ces mots pour des trames d’amiante, ce qui n’est pas difficile à concevoir, vû la propriété de l’amiante dont nous parlons. De plus, Homère ajoute Θαῦμα ἴδεσθαι. Si ces étoffes que fabriquoient ces Nymphes, eussent été des étoffes ordinaires, y auroit-il eu lieu de s’écrier ainsi ; au lieu que si c’étoient de longues pièces de toile de pierre, il y avoit assurément plus sujet de dire, chose admirable à voir. Le Salvini qui a traduit Homère en vers italiens, a entendu & tourné cet endroit dans le même sens que M. Landi. Enfin un monument antique, trouvé en 1702 près de la grande porte de Rome, appelée autrefois Porta Nævia, ne laisse aucun lieu de douter que l’on ne fit autrefois de la toile d’amiante. C’est une urne funèbre ornée en dehors de bas reliefs très-élégans, dans laquelle il y avoit des cendres avec un crâne & des os brûlés, enveloppés dans un linge d’amiante, d’une grandeur étonnante. Il a neuf palmes romains de long, sur sept de large ; ce qui, selon ce que nous avons dit au mot Palme, revient à cinq pieds sept pouces, dix lignes & demie pour la longueur, & à quatre pieds, onze pouces, neuf lignes & demie, c’est-à-dire, à deux lignes & demie près, cinq pieds pour la largeur. Ce monument précieux se conserve dans la Bibliothèque du Vatican, où Clément XI le fit mettre. Enfin Majelli, dans ses Notes sur la Metallotheca de Mercati, prétend qu’en macérant l’amiante dans l’eau, & le broyant ensuite, on en peut faire du papier à écrire.

M. Landi recherche ensuite ce que c’est que l’amiante. Le plus grand nombre des Auteurs le prennent pour une pierre. M. Landi croit qu’il est du règne des végétaux. C’est une petite plante qui végete, qui croît, qui pousse des branches, & qui est composée de petits filamens, droits, blancs, brillans, cristalins, qui se séparent aisément, qui poussent & germent d’une petite racine de la figure d’une noix. Elle se trouve dans les mines d’alun, & elle est couverte d’exhalaisons bitumineuses ; son tronc, ses branches, & ses feuilles sont comme piquetées, ou tachetées de petites lames d’argent. C’est de-là qu’est venue l’erreur de ceux qui ont pris l’amiante pour de la plume d’alun, pour de l’alun scissile, & pour une pierre incrustée d’une matière pierreuse, brillante. M. Landi trouve des partisans de son opinion. Pline, dit-il, a peut-être voulu marquer que l’amiante étoit un arbuste, quand il l’a nommé un Lin vivant, Linum vivum. C’est peut-être l’herbe de Pomet, qui se trouve dans les Pyrénées,