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BAR

sippe, dis-je ne parle que du peuple & d’un usage général, ou particulier d’Athènes ; car non-seulement Alexandre, mais Philippe son pere, Amyntas & Archelaüs, Rois de Macédoine long-temps avant lui, sont représentés sans barbe sur leurs médailles. Les Romain furent aussi long-temps sans se raser. Pline remarque que l’on ne commença que l’an 454 de Rome ; que cette année-là P. Ticunius Mena amena des Barbiers de Sicile, & que Scipion l’Africain fut le premier qui introduisit la mode de se faire raser tous les jours.

Chez les Romains, on faisoit une visite de cérémonie à ceux à qui on faisoit la barbe pour la première fois, ou qui prenoient la robe virile. C’étoit une marque de tristesse & de deuil que de laisser croître sa barbe. M. Livius ayant été condamné par le peuple en sortant du Consulat, en eut tant de chagrin qu’il se retira à la campagne, & laissa croître sa barbe & ses cheveux. Les Censeurs voulant le ramener au Sénat, l’obligerent de se faire couper la barbe. Les premiers Philosophes laissoient croître leur barbe, plutôt par mépris des ajustemens du corps, & par nonchalance, que par affectation. Dans la suite ils la nourrirent avec grand soin, comme une marque & un caractère de sagesse. Une longue barbe devint une bienséance essentielle à la gravité philosophique. S. Chrysostôme dit, que les Rois de Perse se faisoient faire un tissu de leur barbe avec des fils d’or, & tiroient vanité de paroître en cette figure monstrueuse. Tillem. Le continuateur de Monstrelet dit que le Duc de Lorraine vêtu de deuil ayant une grande barbe d’or venant jusqu’à la ceinture, à la façons des anciens Preux, & pour signe de la victoire qu’il avoit obtenue, vint donner de l’eau-benite à Charles dernier Duc de Bourgogne. C’étoit aussi une ancienne coutume des Gentils de donner une barbe d’or à leurs Dieux en signe de magnificence. Favyn. Hist. de Nav. L. A., p. 557, qui croit que c’est de-là que cette coutume passa aux Princes & aux Seigneurs.

Autrefois on faisoit une cérémonie de bénir la barbe, & de la consacrer à Dieu, quand on la rasoit aux Ecclésiastiques. Warnefridus dit, que le nom des Lombards vient de ce qu’ils portoient une longue barbe. Clodion commanda aux François de porter de grands cheveux, & de laisser croître leur barbe, pour les distinguer des Romains. Cette coutume a duré jusqu’au Roi Louis le Jeune, qui fit raser la sienne sur certaine remontrance que lui fit Pierre Lombard Evêque de Paris. Nos Rois de la première race portoient les cheveux longs tressés & cordonnés de cordons & rubans de soie, & leur barbe nouée & boutonnée d’or, ainsi que le remarquent nos anciens Annaliste. Favyn. Sous le règne de Philippe de Valois, la mode vint de porter une longe barbe, & des habits fort courts. P. Dan. T. II, p. 531. Pasquier remarque que pendant les premières années du règne de François I. l’on suivoit l’ancienne coutume de porter longue chevelure, & barbe rase. Mais ce Prince ayant été blessé à la tête, & obligé à se faire couper les cheveux, tout le monde fit de même, & on porta longue barbe.

Les 14 premiers Empereurs Romains assurent que les Germains se faisoient raser la barbe. Les Goths & les Francs ne portoient qu’une moustache, qu’on appeloit cirsta. Othon I. introduisit la coutume de laisser croître la barbe : mais Fédéric I. ramena la mode ancienne, & il n’y eut plus que les paysans, ou les Moines, ou ceux qui vouloient porter une marque qu’ils avoient fait le voyage de la Terre-Sainte, qui se fissent honneur d’avoir une longue barbe.

Les personnes de qualité faisoient autrefois couper la barbe à leurs enfans, pour la première fois, par d’autres personnes qualifiées, & l’on devenoit Parrain, ou Père spirituel d’une personne, en lui faisant la barbe, ou les cheveux. C’est ce que l’on apprend de Paul Diacre, De Gest. Longob. L. IV. cap. 40. & L. VI. cap. 53. Voyez le P. Mabillon, Acta. Sanct. Ord. Bened. sæc. iii. præf. i. Auparavant c’étoit en touchant seulement la barbe d’une personne qu’on devnoit son Parrain. Une des conditions du Traité entre Alaric & Clovis, fut qu’Alaric toucheroit la barbe de Clovis, pour devenir son Parrain, ainsi que Fredegaire le rapporte après Idatius.

Ce fut, il y a quelques siècles, la coutume de porter de fausses barbes, comme on porte de faux cheveux, & des perruques au menton, comme on en porte aujourd’hui sur la tête. Car nous trouvons dans les Etats, ou Cortes de Catalogne, tenus en 1351, sous D. Pedre Roi d’Arragon ; nous trouvons, dis-je, une défense de porter de fausses barbes.

A l’égard des Ecclésiastiques, la discipline a été fort diverse sur l’article des barbes. Tantôt on a trouvé qu’il y avoit de la molesse à se faire raser, & que les longues barbes convenoient mieux à la gravité sacerdotale, & tantôt qu’il y avoit trop de faste à porter une barbe vénérable. Le P. Du Moulinet dans son Histoire des Souverains Pontifes, remarque sur les médailles de Clément VII, qu’il fut le premier des Papes dont on a connoissance, qui porte la barbe ; parce qu’ayant négligé de se faire raser durant sa prison, qui dura cinq mois, & en étant sorti avec une longue barbe, il la porta depuis, ce que ses successeurs ont retenu jusqu’à présent. Mais les PP. Henschenius & Papebrock parlent bien plus exactement dans le Propylæum du mois de Mai, pag. 209. Ils remarquent qu’Anastase IV fut le premier de son siècle qui fit raser sa barbe ; que plusieurs de ses successeurs l’imiterent jusqu’à Jules II qui la laissa croître ; qu’Anastase n’est pourtant pas le premier Pape qui se soit fait raser ; que dès l’an 797, il trouve que Léon III portoit la barbe rasée ; qu’alors les Empereurs Grecs ne possédant plus rien en Italie, il paroît que ce Pontife préféra cet usage à celui des Grecs, chez qui encore aujourd’hui les Evêques & les Moines conservent leurs barbes avec grand soin ; qu’ensuite l’an 960 Jean XII reparoît avec une longue barbe ; que ce fut en ce temps que Rome commença à avoir de grands égards pour les Empereurs d’Allemagne ; que c’est peut-être ce qui donna occasion à ce changement, la nation allemande ayant toujours été beaucoup plus curieuse d’entretenir sa barbe longue, que les François. En 1556, lorsque le Cardinal d’Angennes voulut prendre possession de son évêché du Mans, il fallut des Lettres de Jussion du Roi Henri II, pour le faire admettre avec sa longue barbe ; parce qu’il ne pouvoit se résoudre à la faire couper.

Il semble que depuis le schisme des Grecs, les Latins, pour se distinguer d’eux, aient affecté de couper leurs barbes. Il y a même des constitutions de radendis barbis, & l’on a cru se conformer en cela aux temps apostoliques. Les Grecs au contraire ont soutenu avec chaleur le parti des grandes barbes ; ils ne peuvent souffrir dans nos Eglises les images des Saints qui n’ont point de barbe. Saint Epiphane reprend fortement les Hérétiques Massaliens, de ce qu’ils rasoient leurs barbes. Il leur oppose la parole de Dieu dans les Constitutions des Apôtres, où il est défendu expressément de raser la barbe. Nous apprenons des Status & des Coutumiers de différens Monastères, que les Moines Clercs se faisoient couper la barbe, & que les Moines laïques la laissoient croître, & qu’on bénissoit avec cérémonie la barbe de ceux qu’on recevoit dans les Monastères. Martene. On trouve dans le Pontifical de Salisbery, & dans un autre que l’on garde au Monastère du Bec en Normandie, des prières que l’on récitoit lorsqu’on coupoit la barbe de ceux que l’on tonsuroit, & même des Evêques lorsqu’ils étoient sacrés. Id.

Ce mot vient du latin Barba que Guichard prétend s’être formé de l’hébreu אבד, abad, d’où vient אביב, qui est interprété, prima fœcunditas, germinatio, seu proventus frugum & fructuum, que de אבב, abab, s’est fait baba, & en ajout un r, barba. Mais c’est-là une de ces étymologies qui quand elles seroient vraies, sont sans preuves. Le mot barbe est