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œuvres des Infidèles, que l’on appelle moralement bonnes, parce qu’en ce qu’elles sont bonnes, elles sont capables d’être rapportées à la gloire de Dieu, & qu’elles ne sont donc pas des péchés. Le sentiment de Saint Thomas & des Théologiens Catholiques n’est pas que ces sortes d’actions méritent le Ciel, ce seroit une hérésie de le penser ; mais ils veulent dire que ces actions non-seulement ne sont pas des péchés, mais même qu’elles sont bonnes moralement ; c’est-à-dire, qu’elles ont une bonté morale d’un ordre naturel, & qui pourroit par la grace & un motif surnaturel, être élevée à l’ordre surnaturel. Tel est, par exemple, le secours qu’un Païen donne à un pauvre dans sa nécessité.

Le mot de charité n’a point de pluriel en ce sens. Les hommes se font une idée de la charité, en prenant pour contraire à cette vertu, tout ce qui incommode l’amour propre. Port-Royal. Les gens du monde conçoivent la charité comme une vertu toujours flateuse & agréable, & qui ne choque jamais personne. Ibid.

La route de la vie humaine
De mauvais pas est toute pleine ;
Pour m’en tirer facilement,
Voici ce que je fais : J’attelle
A cette voiture mortelle,
Que je conduis au monument,
La Justice premièrement,
Qui marche toujours rondement,
Et la charité, sans laquelle
Elle iroit moins légèrement.

L’Abbé Regn. des Mar.

Charité est aussi l’effet d’une vertu morale, qui consiste à secourir son prochain de son bien, de ses conseils, &c. En ce sens ce mot de charité a un pluriel. Inopiæ, egestatis subsidium, levamen. Cet homme, qui s’est engraissé de la substance du peuple, tire du fonds même de ses concussions, une bizarre charité, & des aumônes irrégulières. Flech. Une charité aussi vive, & aussi agissante que la vôtre, n’a pas besoin d’être excitée par l’artifice & par le mensonge. La charité bienfaisante & libérale, a toujours les mains ouvertes pour soulager la misère d’autrui. Le Mait. La Providence a voulu entretenir la charité parmi les hommes, par le commerce des secours & des assistances mutuelles qu’ils se rendent. Flech. Dans ce siècle la charité est non-seulement refroidie, mais presque éteinte, & l’on croit perdre le bien qu’on distribue en aumônes. Flech. La charité prise en ce sens ne doit point être pratiquée au préjudice de la justice. Il faut payer ses dettes, le salaire des artisans, les gages des domestiques, avant de faire des charités. Voyez Aumône, Amour, Amour de Dieu, Amour du prochain.

Quand on veut corriger certain Moine en Chapitre, le Supérieur dit à un des Religieux, mon Frere faites-lui la charité ; pour dire, avertissez-le de ses fautes, déclarez celles que vous avez remarquées, donnez-lui la discipline, la correction fraternelle. Reprehensio, correctio.

Charité. Quelques-uns dérivent ce mot du grec χάρις, grace ; mais rien, dit Vossius, n’est si incertain que cette étymologie. Ce qui est sûr, c’est que dans les anciennes inscriptions, comme l’a montré Manuce dans son Orthographie, carus, caritas, sont écrits sans h. Il est donc bien probable que ces mots viennent de carus, précieux, & que carus en ce sens ne vient point de careo, comme Perrot l’a cru, mais de l’hébreu יקר, pretiosus, par le retranchement de la première lettre י.

Charité chrétienne. Ordre Militaire établi par Henri III, en faveur des soldats estropiés au service de l’Etat. Ordo Militaris à christianâ charitate nuncupatus. Il assigna quelques revenus pour cette charitable fondation. Ceux qui étoit reçus dans l’Ordre portoient une croix sur le manteau au côté gauche, & autour de la croix ces mots en broderie d’or, pour avoir fidèlement servi. Un établissement si louable n’eut point de succès. Le Pere Anselme.

Frères de la Charité. Nom de Religieux. Cet Ordre porte différens noms en différens pays. En Espagne on appelle ces Religieux, les Frères de l’Hospitalité. En Italie ils ne sont connus que sous celui de Fate-Ben, Fratelli, ou Ben Fratelli, parce qu’ils ont coûtume de demander ainsi l’aumône. En France on les appelle Frères de la Charité ; Frères, parce qu’ils sont laïques, & qu’ils n’ont qu’un Prêtre en chaque maison, lequel ne peut avoir aucune charge de l’Ordre ; de la Charité, parce qu’Henri IV, donna à leur Hôpital de Paris le nom de Charité de Saint Jean de Dieu.

Saint Jean de Dieu, leur Fondateur, étoit un Portugais, né à Monte-major el novo, petite ville du Diocèse d’Evora, en 1495. Il commença cet Ordre à Grenade en 1540, par une maison qu’il loua pour y retirer les malades, & les y assister. Cet établissement fut approuvé par l’Archevêque de Grenade, D. Pierre Guerrero. Son intention n’étoit d’abord que de former une Congrégation de personnes séculières pour avoir soin de l’hôpital de Grenade. Il ne fit point de règle. L’Evêque de Tuy lui prescrivit à lui & à ses disciples une forme d’habit. Ce ne fut qu’après sa mort arrivée en 1550, que son institut fut approuvé par Léon X. C’est Pie V, qui l’approuva par une Bulle du premier Janvier 1572, par laquelle il leur prescrivit une forme d’habit, & leur donna la règle de Saint Augustin. Grégoire XIII, successeur de Pie V, le confirma, & lui accorda plusieurs privilèges. Clément VIII, sous prétexte qu’ils s’étoient relâchés, & qu’ils étudioient au lieu d’avoir soin des malades, les soumit aux Evêques, leur défendit l’étude & de prendre les ordres ; ordonna qu’ils ne fissent qu’un seul vœu de pauvreté & d’hospitalité : mais par un Bref de 1576, il les remit dans leur premier état. Paul V, en 1609, leur permit de promouvoir aux ordres quelques-uns de leurs Frères, afin qu’il y en eût un dans chaque hôpital pour administrer les sacremens aux malades. Le même Pape approuva leurs Constitutions en 1617. Marie de Médicis les amena en France en 1601 & en 1602. Henri IV, leur donna des Lettres Patentes. P. Hélyot, Tom. IV, ch. XVIII.

Il y a un autre Ordre de la Charité, dont les Religieux s’appellent les Frères de la Charité de Saint Hippolyte. Il fut institué environ l’an 1585, sous le Pontificat de Grégoire XIII, par un Bourgeois de la ville de Mexique aux Indes occidentales. Il fonda un hôpital hors des murs de la ville, & le dédia en l’honneur de Saint Hippolyte, patron du Mexique. Il dressa des réglemens que Grégoire XIII, confirma après qu’ils eurent été examinés par l’Archevêque ; mais ce souverain Pontife étant mort avant que ces lettres fussent expédiées, Sixte V son successeur les signa, & approuva tout ce qui avoit été fait en faveur de cet hôpital. Les hôpitaux se multiplièrent, ils s’unirent ensemble, & formèrent une Congrégation sous le titre de la Charité de Saint Hippolyte, du nom du premier hôpital. Clément VIII, par un Bref du 2 Avril 1554, leur accorda tous les privilèges dont jouissent les Freres de la Charité de Saint Jean de Dieu. Ils ne faisoient que des vœux simples, l’un de charité, & l’autre de pauvreté, & sortoient de la Congrégation quand bon leur sembloit. Cela obligea le Frère Majeur ou Général de cette Congrégation de s’adresser à Clément VIII, pour remédier à cet inconvénient. Le Pape ordonna qu’ils feroient à l’avenir des vœux de perpétuelle hospitalité & d’obéissance, au lieu de ceux de charité & de pauvreté, qu’ils avoient fait jusqu’alors. Cela n’ayant point encore suffi, Innocent XII, par une Bulle du 10 Mai 1700, les obligea à des vœux solemnels de pauvreté, chasteté, obéissance & d’hospitalité, sous la règle de Saint Augustin, & déclara leur Congrégation Ordre Religieux.