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COE

S. Evr. On ne sauroit bien manier les matières de morale, si l’on ne connoît parfaitement les plis & les replis du cœur. S. Evr. Quand un prédicateur est entré dans l’esprit, il lui est plus aisé de pénétrer jusqu’au cœur ; & au contraire, quand l’esprit est rebuté, il ferme l’entrée du cœur. Ciceron avoit sur tout l’art de toucher ; il connoissoit bien les détours & les ressorts du cœur humain. P. Rap. L’esprit & le cœur se trompent réciproquement. L’esprit éblouit, & déja prévenu par le cœur, prononce en faveur des passion, & le cœur charmé de les voir justifiées, par le jugement de l’esprit, les suit sans scrupule. Il faut plus souvent chercher la cause de nos égaremens dans les affections du cœur', que dans les connoissances de l’esprit. La vertu est naturellement austère par la contrainte qu’elle impose au cœur en réprimant ses desirs. P. Rap. Le feu de l’amitié échauffe le cœur, sans le consumer ; elle le remplit & le remue, sans le troubler & sans l’allarmer. La morale apprend à connoître le cœur humain ; cet abîme est impénétrable. Vaug. Les plaisirs du cœur sont plus touchans, que ceux de l’esprit. S. Evr.

Que dans tous vos discours la passion émue,
Aille chercher le cœur, l’échauffe & le remue.

Boil.

On dit aussi décharger son cœur ; pour dire, déclarer une pensée, un sentiment secret.

Cœur se dit particulièrement de la faculté de l’ame qui ressent de l’affection, de l’amitié, de l’amour, de la tendresse. Animus, voluntas, studium. Chacun dit du bien de son cœur, & n’ose en dire de son esprit. Rorhef. L’esprit ne sauroit jouer long temps le personnage du cœur. Id. Que ne pouvez vous point sur un cœur dont vous connoissez le foible & les retraites ? Il n’y a que l’amour qui de deux cœurs puisse n’en faire qu’un. M. Scud. Ces cœurs ouverts de tous côtés à l’amour n’aiment rien à force de trop aimer. S. Evr. Le cœur d’une femme peut contenir un amour permis, & un amour défendu, sans que l’un embarrasse l’autre. Villefort. Un cœur usé par mille coquéteries n’est pas capable d’une grande passion. B. Rab. Le roi ne se crut bien ferme sur son trône qu’en gagnant le cœur & l’affection de son peuple. S. Evr. Chacun vante son cœur ; c’est une vanité à la mode. S. Evr.

Quand on aime, le cœur parle encore plus que l’esprit. Ch. de Mer. Ingrat, vous n’avez que trop bien su trouver le chemin de mon cœur ! S. Evr. L’empire des cœurs appartient à la beauté. Id. Je sais bien quels ravages fait une passion dans un cœur tout neuf. M. Scud.

Mais quand le cœur se tait, l’amour a beau parler,
Pour engager ce cœur ses amorces sont vaines,
S’il ne court de lui-même au devant de ses chaînes.

Corn.


Mais ne voyois-tu pas dans mes emportemens,
Que mon cœur démentoit ma bouche à tous momens ?

Rac.


Bien souvent le devoir ne donne par le cœur. Corn.

☞ Prendre un cœur abject, expression de Corneille dans Nicomède, condamnée par Voltaire, Cette expression,prendre un cœur, pour prendre des sentimens, n’est guère permise, que quand on dit, prendre un cœur nouveau, ou bien reprendre cœur, reprendre courage. Il condamne de même l’usage qu’a fait Corneille de ce mot dans Pompée, où l’on trouve, mon cœur étonné. Cœur n’est pas le mot propre ; on ne l’emploie que dans le sentiment. Le cœur n’a jamais de réflexions politiques.

Remarquez que les Anciens mettoient le siège des passions dans le foie, au lieu que nous le mettons dans le cœur. Anacréon dit dans une de ses Odes, L’amour tendit son arc, & frappa au milieu du foie : nous dirions, au milieu du cœur.Platon & ses sectateurs étoient dans les mêmes sentimens, & plaçoient l’amour dans le foie.

Cœur signifie encore, la pensée. Mens, animus, cogitatio. Je l’ai prié de me dire ce qu’il avoit dans le cœur. Dire ce qu’on a dans le cœur, c’est-à-dire, découvrir ses plus secrettes pensées.

On dit, il est tout de cœur ; pour dire, qu’il a beaucoup de bonté, & une humeur bienfaisante. Il a le cœur bon ; pour dire, qu’il a de la droiture & de la générosité. On dit qu’un mari & une femme ne doivent être qu’un cœur & qu’une ame ; c’est-à-dire, dans une parfaite union & une bonne intelligence. On appelle un bon ami, l’ami du cœur. On dit, je vous aime de tout mon cœur ; c’est-à-dire, très-tendrement. On dit, qu’il faute prendre son cœur par autrui ; pour dire, faire ce qu’on feroit si on étoit à sa place. On dit aussi, s’en donner au cœur joie ; pour dire, se remplir, se rassasier d’une chose. On dit encore de ce qu’on voit avec grand regret, que cela fait grand mal au cœur. On dit aussi loin des yeux, loin du cœur ; pour dire, qu’on oublie les absens. L’Evangile dit, là où quelqu’un aura son trésor, c’est-là que sera son cœur. On ne doit point mettre son cœur, son affection aux biens de ce monde. Ce jeune homme a le cœur à l’étude, au jeu, aux armes.

On dit aussi, qu’un homme n’a point le cœur à la besogne, quand il travaille à regret & sans affection. Qu’il est à la joie de son cœur ; pour dire, au comble de ses desirs. On dit d’un homme dur, sans pitié, sans tendresse, que c’est un cœur de roche, de pierre, de tigre. On dit de deux personnes qui se haissent, qu’elles voudroient se ronger, ou s’arracher le cœur. Les riches voient les misères des pauvres qui font saigner le cœur, fendre le cœur, & cependant ils ne les assistent point, cela n’amollit point leur cœur. On dit d’un malhonnête homme, que c’est un homme sans cœur, & sans foi.

Mon Cœur. Expression tendre, ou badine, dont on se sert quand on veut dire quelque douceur à quelqu’un avec qui on vit familièrement, comme entre mari & femme. Animule mi, meum corculum. Les Amans s’appellent mon cœur, mon petit cœur. On appelle aussi un enfant, ou une autre personne, ou sérieusement, ou en badinant, mon cœur ; c’est-à-dire, mon cher.

Cœur (à) se dit adverbialement. Il a pris cette affaire à cœur ; pour dire, chaudement & avec affection. Res illi cordi est, hanc rem cordi habet. Il lui a parlé à cœur ouvert, cœur à cœur, animo sincero ; c’est-à-dire, franchement, sincèrement, & sans déguiser.

On dit, à cœur jeûn ; pour dire, sans avoir mangé ce jour-là. Jejuno stomacho. On dit à contre cœur ; pour signifier, avec peine, avec chagrin. Gravatè, ægrè. De bon cœur ; pour dire, volontiers, avec plaisir. Ex animo studioso. De tout son cœur ; pour signifier l’affection avec laquelle on fait quelque chose. toto animo, toto pectore.

Cœur. (Par) Façon de parler adverbiale ; pour dire, par mémoire, de mémoire. Apprendre par cœur, savoir par cœur, réciter par cœur. Faire dîner quelqu’un par cœur, c’est-à-dire, ne lui pas donner à dîner.

Cœur, par similitude, se dit du milieu de chaque chose. Le Palais est placé au cœur de la ville. Mediâ urbe. Paris en ce sens n’est pas au cœur du Royaume. Medio regno. Noël vient au cœur de l’hiver. Mediâ hieme. La St Jean au cœur de l’été. Les bons échalas sont faits de cœur de chêne. Ce Monarque reste dans le cœur de son royaume, pour faire avorter les factions par sa présence. Mlle. L’Héritier.

Cœur. Terme d’Horlogerie. Pièce de la forme d’un cœur, placée sur l’arbre de la seconde roue d’une grosse horloge, pour faire dégager le pié-de-biche de la détente de sonnerie.

Cœur, en termes de Jeu de cartes, est une peinture rouge qui a la figure d’un cœur. Folium lusorium miniato corde signatum. Il a tous les cœurs dans son jeu.