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DES

langage commun. Car les Stoïciens n’avoient nulle idée distincte de cette puissance à laquelle ils attribuoient les événemens. Ils n’avoient qu’une idée vague & confuse d’un je ne sai quoi chimérique, & d’une cause inconnue à laquelle ils rapportoient cette disposition invariable, & cet enchaînement éternel de toutes choses. Il n’y a aucun être réel à qui l’on puisse donner le nom de destinée. Les Philosophes qui en avoient fabriqué l’idée, supposoient qu’elle existoit, sans savoir pourtant précisément ce qu’ils entendoient par cette fatalité inévitable. Les hommes n’osant d’un côté imputer à la Providence les malheurs qu’ils prétendoient leur arriver injustement, & de l’autre ne voulant point reconnoître que c’étoit leur faute, formèrent le fantôme du destin, pour le charger de tout le mal. Ainsi tous les malheureux se plaignent de la destinée, & ils adoptent ce jargon si commun, sans examiner quelle est cette destinée, contre laquelle ils déclament sans cesse. Id.

Le bien nous le faisons ; le mal, c’est la fortune ;
On a toujours raison, le destin toujours tort. La Font.

Destin, ou Destinée, Dans ce sens, se prend pour nécessité inévitable, à laquelle chacun est assujetti. C’est le destin général des hommes de mourir. Achever le cours de sa destinée. On dit communément qu’on ne peut vaincre la destinée.

Destin, ou Destinée, signifie assez ordinairement, le sort, la fortune, de chaque personne ou de chaque chose. Sors, conditio, fatum. Se faire un beau destin Ablanc. Le privilége des Rois c’est de pouvoir tout impunément, & d’être les arbitres suprêmes de la destinée des peuples. S. Evr. C’est à ceux-là à combattre qui peuvent mourir sans qu’il en coûte rien qu’à eux ; mais pour vous dont la vie renferme la destinée de tout le monde, vous ne devez point courir au péril. Bouh. Quand on ne peut se faire sa destinée, il faut s’y abandonner sans murmure. S. Evr.

Suivre en paix son destin, & laisser faire aux Dieux,
C’est toujours le plus sûr, & le plus glorieux. Quin.

Les Dieux ont à mes jours
Attaché le bonheur de votre destinée. Racine.

Destin & Destinée, se disent aussi de ce qui arrive ordinairement de bien ou de mal. Sors, fatum, conditio. C’est le destin des malheureux d’avoir toujours tort : c’est un prétexte pour les abandonner. S. Evr. C’est la destinée des Poètes d’être toujours gueux. C’est la destinée des bons Ouvriers d’être débauchés.

Fuis le honteux destin de te voir, sans génie,
D’un bon original la mauvaise copie. Vill.

Destin & Destinée. Ces mots se trouvent souvent dans la Poësie pour une Divinité qui règle le destin, ou la destinée, en prenant ces mots pour un ordre, une suite d’événemens. Les Poëtes mettent le destin au-dessus de tous les Dieux. Jupiter lui-même obéit à ses ordres.

De cet obstacle, hélas ! Jupiter n’est point cause.
Dans cet arrêt par lui contre un fils prononcé,
Il n’est que du Destin l’interprète forcé.
Nouv. ch. de Vers.

Accourez, Parques immortelles,
Et vous Destins impérieux,
Qui, par des loix éternelles,
Réglez le sort des hommes & des Dieux.
P. du Cerceau.

Ô Ciel ! ô saintes Destinées !
Qui prenez soin de ses jours florissans,
Retranchez de nos ans
Pour ajouter à ses années. Racine.

Destin, Fortune, sort, hasard, dans une signification synonyme. Le hasard, dit M. l’Abbé Girard, ne forme ni ordre, ni dessein ; on ne lui attribue ni connoissance, ni volonté, & ses événemens sont toujours très-incertains.

☞ La fortune forme des plans & des desseins, mais sans choix ; on lui attribue une volonté sans discernement ; & l’on dit qu’elle agit en aveugle.

☞ Le sort suppose des différences & un ordre de partage ; on ne lui attribue qu’une détermination cachée, qui laisse dans le doute jusqu’au moment qu’elle se manifeste.

☞ Le destin forme des desseins, des ordres & des enchaînemens de causes ; on lui attribue, la connoissance, la volonté & le pouvoir ; les vues sont fixes & déterminées.

☞ Le hasard fait. La fortune veut. Le sort décide. Le destin ordonne.

☞ Tout ce qui est écrit dans le livre du destin est inévitable ; parce qu’on ne peut ni forcer son tempérament, ni voir au-delà de la portée de ses lumières, voyez Fatal, Fatalité, Fatum.

DESTINATION. s. f. Disposition d’une chose relative à une autre. Destinatio. Le bon ordre des Finances est de faire toujours l’emploi des deniers suivant leur destination.

☞ En Jurisprudence c’est aussi la disposition de l’emploi que l’on prétend être fait d’une chose. L’effet de la destination est d’assurer & d’assujettir la chose destinée à son objet, & à la fin qui en a été fixée & arrêtée par une déclaration expresse, ou par un fait indubitable. C’est pourquoi, si les deniers ont été destinés pour être employés en acquisition d’héritages, ils deviennent immeubles au profit de celui pour qui la stipulation est faite.

Le lieu de la destination d’un vaisseau, est le lieu, le port où on l’envoie, ou l’on a dessein qu’il aille.

☞ DESTINÉE, est la même chose que le destin. Fatum, sors. Il est plus en usage en prose que Destin ; & la plupart du temps il se prend pour l’effet du Destin. Heureuse, malheureuse destinée. Suivre sa destinée. Finir sa destinée, c’est mourir. Occumbere mortem, morti, morte.

☞ DESTINER, v. n. Projeter de faire quelque chose. Destinare. Les hommes destinent de faire beaucoup de choses dont la mort empêche l’exécution. Il signifie aussi disposer de quelque chose dans son esprit. Dans ce sens il est actif. Je ne prétends point user, ni consumer ma vieillesse à amasser des biens, pour me faire haïr de ceux mêmes à qui je les destine. P. le Boss. Dieu ne destine point les hommes irrévocablement à la damnation par aucun acte libre de sa volonté.

Le Ciel ainsi l’a destiné ;
Mon fils sera Prélat puisqu’il n’est pas l’aîné. Vill.

On dit qu’un homme est destiné aux armes, pour dire, que son destin l’y porte.

Destiné, ée. part. Préparé, apprêté, déterminé. Destinatus. C’est un lieu destiné aux jeux & aux ris. Aristote Mod. Ce jour est destiné à la promenade. Cet homme est destiné à être pendu.

DESTITUABLE. ad. m. & f. Qui peut être destitué. Qui exui potest munere, magistratu, qui ex officio amoveri potest. Les pourvus de Bénéfices en titres ne sont pas destituables sans connoissance de cause. Le Vicaire d’un Curé est destituable ad nutum, à volonté, parce que ce n’est qu’une simple commission.

DESTITUER, v. a. Ôter une personne d’une charge, d’une commission. Le dépouiller de sa place & de la fonction publique qu’il exerçoit. Destituere aliquem, munere privare, exuere. Un Seigneur ne peut pas destituer un Officier pourvu à titre onéreux : on le peut destituer en cas de forfaiture, quand on lui a fait son procès. Les nouveaux Fermiers destituent, révoquent les anciens Commis. Il y a eu quelques Prélats destitués & déposés de leur dignité. Sa Sainteté avoit ôté au Cardinal Impériali la Légation de