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SACRIFICE

pourrait très bien signifier « regarder moins favorablement », comme d’ailleurs l’insinue le texte de l’Épitre aux Hébreux. Dès lors, il serait permis de supposer que les deux frères ont obéi à une inspiration de conscience, ou que l’un a agi à l’imitation de l’autre, mais avec des sentiments de valeur inégale. En somme, ce passage biblique note l’apparition des premiers sacrifices, mais ne permet pas de discerner la vraie cause de cette institution.

Noé. — Au sortir de l’arche, Noé construit un autel, prend des animaux et des oiseaux purs et les offre en holocauste sur l’autel. Dieu agrée ce sacrifice. Gen., viii, 20, 21. Pendant les longs siècles qui se sont écoulés entre Adam et Noé, l’institution des sacrifices s’est développée. L’autel est apparu. Les animaux ont été distingués en purs et impurs, les purs étant ceux que l’homme a pris à son service ou dont il tire utilité. Ces victimes vivantes ne sont plus seulement l’objet d’une oblation, comme au temps d’Abel ; elles sont immolées et entièrement consumées sur l’autel. Les circonstances autorisent à penser que, par ce sacrifice, Noé entend reconnaître la souveraineté de Dieu et le remercier de sa propre préservation. Dieu répond à cette double pensée du patriarche en lui assurant que désormais la préservation sera générale et en lui déléguant quelque chose de sa souveraineté sur tous les animaux. — Rien n’est encore dit sur l’origine des sacrifices. Ont-ils été, dans l’idée de ceux qui les ont offerts les premiers, des dons intéressés où désintéressés, une sorte de rançon payée à Dieu pour avoir droit ensuite de se servir des êtres qui font partie de son souverain domaine, un expédient pour justifier l’immolation des animaux dont on sentait le besoin de se nourrir, et ensuite un acte d’hommage à la divinité, pour lui témoigner reconnaissance ou repentir et s’unir à elle par la communion à la même victime ? Aucune réponse n’est suggérée par le texte sacré. Cf. Revue biblique, 1906, p. 472. Saint Thomas, Sum. theol., Ia-IIæ, q. ciii, a.1, pense que les anciens hommes offraient leurs sacrifices en vertu d’une certaine dévotion qui portait leur volonté à faire ce qui paraissait convenable, et qu’on peut croire que plusieurs d’entre eux, doués d’un esprit prophétique, ont été poussés par un instinct divin à instituer une manière particulière d’honorer Dieu. Il n’y aurait donc pas eu révélation directe de Dieu pour l’institution des sacrifices, mais seulement inspiration à certains personnages dont ensuite l’exemple aurait fait loi.

Abraham. — Quelques siècles s’écoulent entre Noé et Abraham. La notion du sacrifice s’est précisée chez les descendants de Sein. « Le sacrifice des Sémites n’est ni un vulgaire contact intéressé, ni la becquée tendue aux dieux, ni le renouvellement des liens du sang avec le dieu au moyen d’une victime de nature divine. C’est l’expression, par un acte solennel, de cette idée que tout appartient au dieu, et la reconnaissance de ce droit, en même temps que l’expression du désir de se rapprocher de lui. Ce désir étant la base même du sentiment religieux, le sacrifice est l’acte religieux par excellence. » Lagrange, Études sur les religions sémitiques, p. 274. Abraham élève des autels et invoque le nom de Jéhovah, sans nul doute en lui offrant des sacrifices. Gen., xii, 7, 8 ; xiii, 18. Devant lui, Melchisédech donne un caractère religieux à son offrande du pain et du vin. Gen., xiv, 18. Voir Melchisédech, t. iv, col. 939. Puis, pour sceller son alliance avec Jéhovah, Abraham reçoit l’ordre d’apporter une génisse de trois ans, une chèvre et un bélier de même âge, une tourterelle et un jeune pigeon. Il les partage par le milieu, sauf les oiseaux, et il met chaque moitié vis-à-vis de l’autre. A la nuit tombée, un feu passe entre les animaux ainsi partagés. Gen., xv, 9, 10, 17. Ce rite paraît avoir été spécialement pratiqué par les Chaldéens pour conclure des alliances. On divisait ainsi le corps des victimes et chaque partie contractante passait entre elles. Jéhovah passa, sous forme de feu, entre les animaux partagés par Abraham, et celui-ci passa de même, bien que le texte sacré ne juge pas nécessaire de le mentionner. Ce rite se maintint parmi les Israélites. En cours Dans Jérémie, xxxiv, 18, 19, Jéhovah se plaint des chefs de Juda qui’, après avoir « passé entre les moitiés du jeune taureau », ont été infidèles à l’alliance ainsi contractée avec lui. On dit, en hébreu, kârat berîf, « couper une alliance », c’est-à-dire la contracter. Gen., xv, 18 ; Exod., xxiv, 8 ; Deut., iv, 23, etc. De même, en grec, l’expression opxia ts[ivsiv, « couper des serments », Iliad., ii, 124 ; ni, 94, 105, etc., se réfère au même usage et signifie « conclure un traité ». En passant l’un après l’autre entre les deux parties des victimes, les contractants voulaient marquer que désormais ils ne faisaient qu’un, comme les deux moitiés opposées. En même temps, le sort infligé aux victimes les menaçait eux-mêmes s’ils se montraient infidèles à l’alliance. C’est ce que le passage de Jérémie, xxxiv, 18, donne à entendre. Un usage analogue se retrouve encore chez les Arabes. Quand ils sont sous le coup d’une calamité, « chaque famille prend une brebis qui servira de victime de rédemption, l’immole, la divise en deux parties égales qu’elle suspend, l’une vis-à-vis de l’autre, sous la tente ou en dehors, à deux piquets de bois. Tous les membres de la famille doivent passer entre les deux morceaux de cette victime. Les enfants incapables de marcher sont portés par la mère. » A. Jaussen, Coutumes arabes, dans la Revue biblique, 1903, p. 248. Cf. Hérodote, vii, 39. Le texte sacré n’indique pas si les victimes immolées par Abraham furent ensuite brûlées, ou mangées parlùi et les siens, ou abandonnées aux oiseaux de proie qui s’étaient d’abord abattus sur elles. Gen., xv, 11. Il n’y en avait pas moins là un sacrifice destiné à consacrer une alliance. — Une autre fois, Abraham, pour obéir à un ordre de Dieu, se dispose à offrir son fils Isaac en holocauste. Il donne ainsi la preuve d’une obéissance prête à tout pour rendre honneur à Dieu. Arrêté dans l’exécution de cet ordre, le patriarche substitue un bélier à son fils et l’offre en holocauste. Gen., xxii, 2-13. Ici, l’idée de la substitution est nettement accusée. Toute vie humaine appartient à Dieu, qui peut en disposer à son gré ; la vie de l’animal n’est sacrifiée qu’à la place de la première. — D’autres autels sont élevés par Isaac, Gen., xxvi, 25, etJacob, xxviii, 18 ; xxxiii, 20 ; xxxv, 14, qui y font des onctions, des libations, et probablement aussi les destinent à des sacrifices. Cf. Gen., xxxi, 54.

4° Job. — Ce saint homme suit encore les coutumes patriarcales. Périodiquement, il offre le matin un holocauste pour chacun de ses fils, en se disant : « Peut-être mes fils ont-ils péché et offensé Dieu dans leur cœur. » Job, i, 5. Ce sont là des sacrifices expiatoires. Il n’en a pas encore été rencontré de pareils dans l’histoire des anciens patriarches. À la suite de la discussion, Dieu enjoint aux amis de Job d’offrir en holocauste sept jeunes taureaux et sept béliers, en expiation de la folie de leurs discours. Job, xlii, 8.

5° Moïse. — Au pied du Sinaï, après la promulgation du décalogue, Moïse charge des jeunes gens d’offrir des holocaustes et d’immoler des taureaux en sacrifices d’actions de grâces. Puis il verse la moitié du sang sur l’autel et, avec l’autre moitié, asperge le peuple en disant : t C’est le sang de l’alliance que Jéhovah a conclue avec vous. » Exod., xxiv, 5-8. Cf. Heb., ix, 19-22. Il y a là un sacrifice destiné à confirmer un contrat d’alliance. Les contractants se partagent le sang des mêmes victimes ; Dieu en reçoit la moitié sur son autel, le peuple reçoit le reste par l’aspersion, et dès lors Israël acquiert de nouveaux droits et se soumet à de nouveaux devoirs.

III. Sacrifices mosaïques. — Les sacrifices tiennent une très grande place dans le culte institué par Moïse sur l’ordre de Dieu. Les sacrifices existaient chez tous