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té l’objet, sous la domination romaine pendant l’Empire, que d’hommages simples et rustiques^^1. J.-A. Hild.

SATURNUS (Κρονός). — I. Le dieu Kronos des Grecs, qui devait, peu s’en faut, perdre sa personnalité dans le Saturne des Romains, occupe dans l’histoire des religions anciennes une place à part. Les plus vieilles légendes de l’Hellade, celles qu’a chantées Hésiode et dont les poèmes homériques ont recueilli l’écho, le présentent comme la divinité suprême d’une génération qui a précédé celle des Olympiens et dont celle-ci est issue^^1. Ce point de vue généalogique suffit à concilier à Kronos quelque vénération, à lui faire une certaine part dans les cérémonies du culte et dans les manifestations de l’art. Mais comme il est un roi détrôné et déchu, forcé de s’effacer devant les enfants qui ont pris sa place, il est relégué avec les Géants et les Titans, avec Ouranos, Gaïa, Hélios, Okéanos, personnifications comme lui des forces de la nature primitive, tantôt dans l’Empire du Tartare parmi les révoltés, tantôt aux extrémités fabuleuses du monde, dans une région fantastique où il jouit d’un bonheur et d’une considération dont Zeus et les Olympiens ne sauraient être jaloux. Chez Homère, sa légende est réduite à ces conceptions très simples et dont le sens religieux des foules n’a jamais cherché à discuter l’incohérence ; chez Hésiode et ses continuateurs, il a une histoire plus complexe. On raconte ses démêlés avec sa lignée et avec Ouranos, son père. Il a mutilé ce dernier ; il a tenté, en les dévorant, de supprimer les enfants qui devaient lui ravir le pouvoir. Rhéa, son épouse, l’abuse en substituant au plus éminent d’entre eux une pierre enveloppée de langes^^2. Du sang d’Ouranos tombé dans la mer naît Aphrodite, principe de la fécondité universelle^^3 ; et la ruse de Rhéa assure à Zeus. contre son père, désormais rejeté du monde dont il troublait l’harmonie, la suprématie sur les dieux et les hommes^^4. Sous ces images, d’une barbarie naïve, on voit des concepts théogoniques et cosmologiques qui, à défaut de la vénération des foules, assurent dès lors à Kronos une place privilégiée dans les spéculations de la philosophie religieuse : de sorte qu’il sera dans la destinée du dieu d’être d’autant plus en faveur auprès des penseurs qui cherchent à interpréter l’anthropomorphisme par des systèmes rationnels, qu’il est plus négligé par la piété des masses et par l’art religieux, son interprète^^5.

Il y a cependant dans la fable de Kronos un trait qui fait de lui une figure populaire, c’est celui de sa royauté

1 V. Toutain, De Saturni dei in Africa romana cultu, Paris, 1894, p. 106 sq., surtout p. 113.

SATURNUS. 1 Hom. II. XIV, 204, 274, 279 ; XV, 223 ; VIII, 478 sq. : 13 ; V, 898. Pour les divers systèmes d’inlerprélatioD, v. entre autres Nacgeisbach. Homtrische Théologie, p. 75 sq. (2* < !-(lil.) : Scliocmanu, Opxtsc. Il, p. 114 sq. ; Wcicker, Griech. Goettertthre, I, 262 sq. ; Mayer, Kronos, chez Roscber, À usf. Lviikon, etc. Il, 1452 sq. ; Preller, Griech. Myttioi. I, p. 43 sq. Hn réalité, Hésiode est la source unique pour la mythologie de Kronos ; la Bibliothèque d’Apollodore en est un travestisscment (M..Mayer, Ib, p. 1430 el, du même Giganten undTilanen, p. 22’J sq.). Le passage capital d’Hésiode est dans la l’héogonie, 439-309. Cf. /b. 173, 188 : 619 ; pour le mythe des âges. Op. et d. 106 sq. ; et. Plut. Plac. Phil. 1, 0, et Naegelsbach. Atuhhom. Théologie, p. 9S, 4.-2 Hes. Theog. 424 sq. ; Aesch. Prom. 219 ; l’Iul. Ùef. or. 21 ; Macr. Hal. I, 8, 3 sq. — 3 Pour Aphrodite, v. Joli. I.yd. Pe ment. 78, 13. — 4 Pour la lignée des Kronides, v. //. II, 203 ; IV, 75 ; IX, 36 ; XVI. 431 ; XVIII, 293 ; Od. XXI, 415 ; cf. Jl. V. 721 ; Î^IV, 194. On y surprend le mélange de deux traditions différentes mal aisées à rapporter à leurs origines, plus encore à concilier, mais qui prouveui la vieille popularité du dieu. tï. Welcker, ’Ip. cit. I, p. 140 et Mai. Mayer, Loc. cit. 14G1 sq. — 5 C’est au temps de Pindarc el de Phérécyde que Krouos grandit dans la poésie orphique el la philosophie ; Rumpel. Lexikon pindaricum, s. v. L’Odyssée avait Tait la Iransilion (IV, 563), par l’invention d’un séjour de délices dans un Élysée situé aux confins du monde sur lequel règne Radamanthe : Kronos y prend plus tard sa place. Pind.

idéale, dans un monde de délices, qui l’a dédommagé du pouvoir suprême confisqué par Zeus. La fête des Kronia (III, 1, p.870 sq.) n’est pas autre chose que l’image, transportée parmi les cérémonies du culte, d’un âge d’or qui met aux origines de l’humanité l’état de perfection et de félicité dont l’avènement des Olympiens a marqué la fin. Les caractères mêmes de cette fête démontrent que Kronos fut peut-être, aux temps primitifs, le dieu en qui se personnifiait, d’une part la croyance universelle à une déchéance graduelle de l’homme et d’autre part la force latente qui doit ramener au bonheur originel^^6. Ces imaginations, Hésiode les a chantées dans le mythe des âges ; et la preuve qu’elles agirent fortement sur les âmes, c’est, avec la popularité des A>on/«, qui eurent leur pendant en Italie dans les Saturnales, ce fait que les comiques grecs, durant la période où l’art dramatique, sous ses diverses formes, exploita les légendes anciennes dans tous les sens, en firent plus d’une fois la caricature^^7. Cependant, la qualité de Kronos, roi de l’âge d’or, n’est jamais comparable à la suprématie nettement divine et universelle de Zeus. Kronos reste un roi terrestre, dont le domaine s’étend sur les lieux lointains que les Grecs entrevoyaient à travers les brumes du mystère ; il va de la Libye à Gadès, en passant par la Sicile, la Sardaigne, l’Italie, c’est-à-dire par cette Hespérie qui, avant d’être bien connue d’eux, leur apparaissait comme une sorte de terre ou comme un groupe d’iles fortunées^^8. Kronos n’a vraiment régné que sur des hommes, et Pindare déjà l’installe dans un château fort, τύρσις^^9, tandis que les Olympiens règnent dans le ciel, au sein des nuages d’où jaillissent la lumière et l’éclair. Lorsque Évhémère rabaisse toutes les divinités de l’anthropomorphisme hellénique au rang de rois, de chefs d’armée, de législateurs, Kronos devient un dieu à la façon des héros qui s’appellent Minos, Codrus, Cadmus.etc.^^10 : un ancêtre reculé de quelque dynastie humaine. C’est en marchant sur ses traces que les poètes alexandrins ont acclimaté à leur manière cette conception de sa personnalité, que les annalistes el les poètes romains ont fait de Saturne le premier roi du Latium, en compagnie de Faunus, de Picus, de Lalinus ; et c’est sous l’influence des mêmes idées qu’ils l’ont associé à Hercule dompteur des monstres et civilisateur des régions de l’Occident^^11.

La forme de religion hellénique qu’on a appelée l’orphisme et dont les conceptions sont pénétrées de philosophie mystique, s’est attachée, en ce qui concerne

Pyth. IV, 291 : Aesch. Eum. 632. Cf. Preller, Op. cit. I, 671. Levers 111 des Œuvres et des Jours, où la génération de l’âge d’or est appelée : οἱ μὲν ἐπὶ Κρόνου, est considéré comme interpolé, de même que le vers 169 qui fait allusion à celle croyance. Cf. E. Hoffmann, Mythen aus der Wanderzeit, etc. Kronos und Zeus, 1876.

6 Dans cette conception nouvelle de la légende de Kronos, sa physionomie s’idéalise ; il est jeune, vigoureux, beau ; au lieu d’être vaincu par les Titans, c’est lui r|ui les dompte et qui est couronne avant Zeus ; l’iat. Phil. 270 rf ; les Orplnuues, chei I.obeck, Aglao,hamus, p. 311 ; Tertull. De cor. 7 ; f>rph. fragm. 43 ; Pind. 01. Il, 124 ; Py(/i. IV, 291 ; Aesch. l’ragm. 190 (Nauck) ; plus lard les Aleian-.Irius s’inspirèrent de ces idées. V. Aral. Phaen. 16, 100 sq. : Apoll. Kliod. Argon. Il, 13. Cf. Plat. Leg. 269 a et 270 a ; Uraf, Ad aureae aelatis fabulam symb. p. 02. (Leipziger Sludieu, Vlll) ; kkosia, 111, I, p. S70.

7 Pour les comiques, v. Aristoph. Plut. 381 ; Alhen. Il1, 113 a, etc. ; cf. Mayer, Loc. cit. p. 1456 sq. avec les textes cités.

8 Iles. Theog. 1011, avec les notes de l’édition Goeltling ; Cic. iat. d. Il1, 17,44 ; cf. Ilild, La légende dÈnée, p. 18 sq.

9 Pind. Olymp. Il, 124 et les commentateurs ; cf. Dion. Hat. I. 36 ; Charai, fragm. 10 el 17 (chel Mueller, /-nigm. hist. gr. III) el Diod. III, 61 ; Orph. fragm. 243 (édil. Ahel). Un écho chez Hor. Epod. XVI, 63 ; Varr. P. ; r. rusl. III, 1, 3.

10 V. l’exposé et le commentaire chez Max. Mayer, Loc. cit. p. 1407 s.i; pour les leilcs, surtout Virg. Aen. VIII, 320, Georg. II, 536, avec les commentateurs : Aurel. Vicl. Origin. I, I, 3 ; Jul. Firm. p. 27.

11 Vid. infra II, notes, el Macr. I, 7, 27, etc.