Page:Dictionnaire des Antiquités grecques et romaines - Daremberg - I 1.djvu/206

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
ALP
ALP
— 190 —

Ce pas fut fait également dans les deux systèmes des hiéroglyphes égyptiens et de l’écriture cunéiforme ; mais les habitants de la vallée du Nil surent pousser encore plus avant et atteindre jusqu’à l’analyse de la syllabe, décomposée en consonne et voyelle, tandis que ceux du bassin de l’Euphrate et du Tigre s’arrêtèrent au syllabisme et laissèrent leur écriture s’immobiliser dans cette méthode imparfaite de l’expression des sons.

Chez les uns comme chez les autres, ce fut le système du rébus, première étape du phonétisme, qui servit de hase à l’établissement des valeurs syllabiques. Elles en furent tirées par une méthode fixe et régulière, que nous désignerons sous le nom d’acrologique.

Tout idéogramme pouvait être employé en rébus pour représenter la prononciation complète, aussi bien polysyllabique que monosyllabique, correspondant dans la langue parlée à son sens figuratif ou tropique. Voulant parvenir à la représentation distincte des syllabes de la langue au moyen de signes fixes, et par conséquent toujours reconnaissables, on choisit un certain nombre de ces caractères, primitivement idéographiques, mais susceptibles d’un emploi exclusivement phonétique, par une convention qui dut s’établir graduellement plutôt qu’être le résultat du travail systématique d’un ou de plusieurs savants. Lorsqu’il arriva que leur prononciation complète formait un monosyllabe, ce qui se présenta pour quelques-uns, leur valeur dans la méthode du syllabisme resta exactement la même que dans celle du rébus. Mais, pour la plupart, la prononciation de leur sens figuratif ou symbolique constituait un polysyllabe. Ils devinrent l’image de la syllabe initiale de cette prononciation. C’est ce système, qu’à l’exemple des anciens, nous appelons acrologisme.

On voit combien fut lente à naître la conception de la consonne abstraite du son vocal qui lui sert de motion, qui donne, pour ainsi dire, la vie extérieure à l’articulation, muette par elle-même. Cette conception, qui nous semble aujourd’hui toute simple, car nous y sommes habitués dès notre enfance, ne pouvait devoir sa naissance première qu’à un développement déjà très-avancé de l’analyse philosophique du langage. Aussi, parmi les différents systèmes d’écriture à la première origine hiéroglyphiques et idéographiques, que nous avons jugés véritablement primitifs et qui se sont développés d’une manière tout à fait indépendante, mais en suivant des étapes parallèles, un seul est-il parvenu jusqu’à la décomposition de la syllabe, à la distinction de l’articulation et de la voix, à l’abstraction de la consonne et à l’affectation d’un signe spécial à l’expression, indépendante de toute voyelle, de l’articulation ou consonne, qui demeure muette tant qu’un son vocal ne vient pas y servir de motion. Ce système est celui des hiéroglyphes égyptiens. Les trois autres s’arrêtèrent en route sans atteindre jusqu’au même raffinement d’analyse et au même progrès, et s’immobilisèrent, ou, pour mieux dire encore, se cristallisèrent à l’un ou à l’autre des premiers états de développement et de constitution du phonétisme. Les hiéroglyphes mexicains ne dépassèrent pas l’emploi de la méthode du rébus ; l’écriture chinoise, par suite de l’organisme particulier de la langue qu’elle servait à tracer, en adoptant la méthode du rébus, se trouva parvenue du premier coup au syllabisme, qui, pour les autres écritures représente un progrès de plus ; elle s’y arrêta, et depuis le moment où elle eut atteint ce point jusqu’à nos jours, elle est demeurée immuable. Pour le cunéiforme anarien, comme pour les hiéroglyphes égyptiens, la langue des inventeurs étant polysyllabique, le syllabisme constitua un état de développement distinct du système des rébus purs et simples, et manifestement postérieur. Le cunéiforme, après être parvenu jusqu’à cet état, n’en sortit point, et seuls, parmi les peuples à la civilisation primitive, les Égyptiens, consommant un dernier et décisif progrès dans l’art d’écrire, eurent de véritables lettres.

C’était un peuple dans la langue duquel les sons vocaux avaient un caractère essentiellement vague, qui devait, comme l’a judicieusement remarqué M. Lepsius, abstraire le premier la consonne de la syllabe, et donner une notation distincte à l’articulation et à la voyelle. Le génie même d’un idiome ainsi organisé conduisait naturellement à ce progrès capital dans l’analyse du langage. La voyelle, variable de sa nature, tendait à devenir graduellement indifférente dans la lecture des signes originairement syllabiques ; à force d’altérer les voyelles dans la prononciation des mêmes syllabes, écrites par tel ou tel signe simple, la consonne seule restait à la fin fixe, ce qui amenait le caractère adopté dans un usage purement phonétique à devenir alphabétique, de syllabique qu’il avait été d’abord ; ainsi, un certain nombre de signes qui avaient commencé par représenter des syllabes distinctes, dont l’articulation initiale était la même, mais suivie de voyelles différentes, ayant fini par ne plus peindre que cette articulation du début, devenaient des lettres proprement dites exactement homophones.

Telle est la marche que le raisonnement permet de reconstituer pour le passage du syllabisme à l’alphabétisme, pour le progrès d’analyse qui permit de discerner et de noter séparément l’articulation ou consonne qui, dans chaque série de syllabes, reste la même, quel que soit le son vocal qui lui sert de motion. Et ici, les faits viennent confirmer pleinement ce qu’indiquaient le raisonnement et la logique. Il est incontestable que le premier peuple qui posséda des lettres proprement dites au lieu de signes syllabiques, fut les Égyptiens. Or, dans la langue égyptienne, les voyelles étaient essentiellement vagues.

Ce qui prouve, du reste, que ce fut la nature vague des sons vocaux dans certains idiomes qui conduisit à la décomposition de la syllabe et à la substitution de lettres alphabétiques aux caractères syllabiques de l’âge précédent, est ce fait qu’en Égypte et chez les peuples sémitiques, qui, les premiers après les Égyptiens, employèrent le système de l’alphabétisme, encore perfectionné comme nous le verrons tout à l’heure, le premier résultat de la substitution des lettres proprement dites aux signes de syllabes, fut la suppression de toute notation des voyelles intérieures des mots, celles de toutes qui étaient, de leur nature, les plus vagues et les plus variables, celles qui, en réalité, ne jouaient qu’un rôle complémentaire dans les syllabes dont la partie essentielle était l’articulation initiale. On n’écrivit plus que la charpente stable et fixe des consonnes, sans tenir compte des changements des voyelles, comme si chaque signe de consonne avait été considéré comme ayant inhérent à lui un son vocal variable. On choisit bien quelques signes pour la représentation des voyelles, mais on ne s’en servit que dans l’expression des voyelles initiales ou finales, qui, en effet, ont une intensité et une fixité toutes particulières, qui ne sont pas complémentaires, mais constituent à elles seules une syllabe, qui, par con-