Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, II.djvu/124

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on serait tenté de croire que vous tombez imperceptiblement dans l’inconvénient que vous vouliez éviter.

DIDEROT.

Quel ?

D’ALEMBERT.

Vous en voulez à la distinction des deux substances.

DIDEROT.

Je ne m’en cache pas.

D’ALEMBERT.

Et si vous y regardez de près, vous faites de l’entendement du philosophe un être distinct de l’instrument, une espèce de musicien qui prête l’oreille aux cordes vibrantes, et qui prononce sur leur consonnance ou leur dissonance.

DIDEROT.

Il se peut que j’aie donné lieu à cette objection, que peut-être vous ne m’eussiez pas faite si vous eussiez considéré la différence de l’instrument philosophe et de l’instrument clavecin. L’instrument philosophe est sensible ; il est en même temps le musicien et l’instrument. Comme sensible, il a la conscience momentanée du son qu’il rend ; comme animal, il en a la mémoire. Cette faculté organique, en liant les sons en lui-même, y produit et conserve la mélodie. Supposez au clavecin de la sensibilité et de la mémoire, et dites-moi s’il ne se répétera pas de lui-même les airs que vous aurez exécutés sur ses touches. Nous sommes des instruments doués de sensibilité et de mémoire. Nos sens sont autant de touches qui sont pincées par la nature qui nous environne, et qui se pincent souvent elles-mêmes ; et voici, à mon jugement, tout ce qui se passe dans un clavecin organisé comme vous et moi. Il y a une impression qui a sa cause au dedans ou au dehors de l’instrument, une sensation qui naît de cette impression, une sensation qui dure ; car il est impossible d’imaginer qu’elle se fasse et qu’elle s’éteigne dans un instant indivisible ; une autre impression qui lui succède, et qui a pareillement sa cause au dedans et au dehors de l’animal ; une seconde sensation et des voix qui les désignent par des sons naturels ou conventionnels.

D’ALEMBERT.

J’entends. Ainsi donc, si ce clavecin sensible et animé était