Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, II.djvu/49

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lement qu’ils ignorent ce que peuvent la bonne méthode et la longue habitude.

S’il était permis à quelques auteurs d’être obscurs, dût-on m’accuser de faire ici mon apologie, j’oserais dire que c’est aux seuls métaphysiciens proprement dits. Les grandes abstractions ne comportent qu’une lueur sombre. L’acte de la généralisation tend à dépouiller les concepts de tout ce qu’ils ont de sensible. À mesure que cet acte s’avance, les spectres corporels s’évanouissent ; les notions se retirent peu à peu de l’imagination vers l’entendement ; et les idées deviennent purement intellectuelles. Alors le philosophe spéculatif ressemble à celui qui regarde du haut de ces montagnes dont les sommets se perdent dans les nues : les objets de la plaine ont disparu devant lui ; il ne lui reste plus que le spectacle de ses pensées, et que la conscience de la hauteur à laquelle il s’est élevé et où il n’est peut-être pas donné à tous de le suivre et de respirer.


XLI.


La nature n’a-t-elle pas assez de son voile, sans le doubler encore de celui du mystère ; n’est-ce pas assez des difficultés de l’art ? Ouvrez l’ouvrage de Franklin[1] ; feuilletez les livres des chimistes, et vous verrez combien l’art expérimental exige de vues, d’imagination, de sagacité, de ressources : lisez-les attentivement, parce que s’il est possible d’apprendre en combien de manières une expérience se retourne, c’est là que vous l’apprendrez. Si, au défaut de génie, vous avez besoin d’un moyen technique qui vous dirige, ayez sous les yeux une table des qualités qu’on a reconnues jusqu’à présent dans la matière ; voyez, entre ces qualités, celles qui peuvent convenir à la substance que vous voulez mettre en expérience ; assurez-vous qu’elles y sont ; tâchez ensuite d’en connaître la quantité ; cette quantité se mesurera presque toujours par un instrument, où l’application uniforme d’une partie analogue à la substance pourra se faire, sans interruption et sans reste, jusqu’à l’entière exhaustion de la qualité. Quant à l’existence, elle ne se constatera que par des

  1. Diderot veut ici parler de l’ouvrage de Franklin ayant pour titre : Expériences et observations sur l’électricité, traduit en 1752 par Dalibard.