Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, II.djvu/93

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le prosélyte

Faible mortel ! quel besoin la Divinité pourrait-elle avoir de les hommages ? Penses-tu que tu puisses ajouter quelque chose à son bonheur, à sa gloire ? Honore-toi toi-même en l’élevant à l’auteur de ton être ; mais tu ne peux rien pour lui ; il est trop au-dessus de ton néant. Songe surtout que si quelque culte pouvait lui plaire, ce serait celui du cœur. Mais qu’importe de quelle manière tu lui exprimes les sentiments ? Ne les lit-il pas dans ton âme ? Qu’importe dans quelle attitude, quel langage, quels vêtements tu lui adresses tes prières ? Est-il comme ces rois de la terre, qui ne reçoivent les demandes de leurs sujets qu’avec de certaines formalités ? Garde-toi de rabaisser l’Être éternel à tes petitesses. Songe que s’il était un culte qui fût seul agréable à ses yeux, il l’aurait fait connaître à toute la terre ; qu’il reçoit avec la même bonté les vœux du musulman, du catholique et de l’Indien ; du sauvage qui lui adresse ses cris dans le fond des forêts, comme du pontife qui le prie sous la tiare.

le sage.

Croyez-vous à la révélation ?

le prosélyte

Il y a autant de révélations sur la terre qu’il y a de religions[1]. Partout les hommes ont cherché à appuyer leurs imaginations de l’autorité du ciel. Chaque révélation se prétend fondée sur des preuves incontestables. Chacune dit avoir l’évidence pour soi. J’examine, je les vois toutes se contredire les unes les autres, et toutes contredire la raison ; je vois partout des amas d’absurdités qui me font pitié pour la faiblesse de l’esprit humain ; et je me dis : À quoi sert de tromper les hommes ? Pourquoi ajouter des fictions ridicules aux vérités éternelles que Dieu nous enseigne par notre raison ? Ne voit-on pas qu’on les décrédite par cet indigne alliage ; et que, pour ne pouvoir tout croire, on en vient enfin à ne croire plus rien ? Pourquoi ne pas s’en tenir à ces notions primitives et évidentes

  1. Il faut excepter la religion du sage Confucius ; et cet exemple seul doit suffire pour détromper ceux qui croient que l’erreur est nécessaire pour gouverner les hommes. Point de miracles, point d’inspirations, point de merveilleux dans cette religion ; et cependant y a-t-il un peuple sur la terre mieux gouverné que le peuple de la Chine ? ({{|Diderot}}.) — Cette croyance, fondée sur les récits des missionnaires, était générale au xviiie siècle.