Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, III.djvu/465

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Newton disait que le socinianisme ou la doctrine des unitaires lui semblait plus géométrique.

Si l’on croit que l’étude des mathématiques dessèche le cœur et l’esprit, cela ne peut être vrai que d’une étude habituelle ; encore cela est-il vrai ?

Si l’on croit que la méthode des géomètres n’est pas applicable à tout, on se trompe ; si l’on prétend qu’il ne faut pas l’appliquer atout, on a raison. Chaque sujet a sa manière d’être traité ; la méthode géométrique serait trop sèche pour les matières d’agrément, et nos langues sont trop imparfaites pour s’y prêter, les acceptions des mots trop vagues, trop indéterminées pour comporter cette rigueur. Mais si l’on doit souvent se dispenser de l’employer, il ne faut jamais la perdre de vue ; c’est la boussole d’un bon esprit, c’est le frein de l’imagination[1].

En quelque matière que ce soit, si l’on a porté la conviction jusqu’à un certain point, on s’écrie : Cela est démontré géométriquement. Il ne s’agit pourtant pas de géométrie.

L’étude de la géométrie conduit imperceptiblement à l’esprit d’invention.

Si nos dictionnaires étaient bien faits ou, ce qui revient au même, si les mots usuels étaient aussi bien définis que les mots angles et carrés, il resterait peu d’erreurs et de disputes entre les hommes. C’est à ce point de perfection que tout travail sur la langue doit tendre.

Rien de ce qui est obscur ne peut satisfaire une tête géométrique ; le désordre des idées lui déplaît et l’inconséquence la blesse.

Si l’on a souvent reproché au géomètre d’avoir l’esprit faux, c’est que, tout entier à son étude, les choses de la vie lui sont inconnues[2].

  1. Voir le chapitre de Pascal : De l’esprit géométrique, dans les Pensées.
  2. « Communément, les géomètres, loin d’être des génies, ne sont pas même des gens d’esprit. Ce que j’attribue au petit nombre d’idées qui les absorbent et bornent l’esprit au lieu de l’étendre, comme on l’imagine. » La Mettrie, Histoire naturelle de l’ame.

    « La géométrie ne redresse que les esprits droits, » répondait l’abbé Terrasson à un qui l’avait faux et apprenait la géométrie pour apprendre à raisonner juste. » (Le même, Supplément à l’ouvrage de Pénélope.) — Par antithèse, un des professeurs de D’Alembert lui interdit la poésie, « parce que, disait-il (et il avait raison dans un certain sens), la poésie dessèche le cœur. »