Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, III.djvu/554

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nages, puisqu’ils en ont la manie ; être leur ami, et par conséquent obtenir leur confiance sans l’exiger ; s’ils déraisonnent, comme il est de leur âge, les mener imperceptiblement jusqu’à quelque conséquence bien absurde, et leur demander en riant : Est-ce là ce que vous vouliez dire ? en un mot, leur dérober sans cesse leurs lisières, afin de conserver en eux le sentiment de la dignité, de la franchise, de la liberté, et de les accoutumer à ne reconnaître de despotisme que celui de la vertu et de la vérité. Si votre fils rougit en secret, ignorez sa honte ; accroissez-la en l’embrassant ; accablez-le d’un éloge, d’une caresse qu’il sait ne pas mériter. Si par hasard une larme s’échappe de ses yeux, arrachez-vous de ses bras ; allez pleurer de joie dans un endroit écarté ; vous êtes la plus heureuse des mères.

Surtout gardez-vous de lui prêcher toutes les vertus, et de lui vouloir trop de talents. Lui prêcher toutes les vertus, serait une tâche trop forte pour vous et pour lui. Tenez-vous-en à la véracité ; rendez-le vrai, mais vrai sans réserve ; et comptez que cette seule vertu amènera avec elle le goût de toutes les autres.

Cultiver en lui tous les talents, c’est le moyen sûr qu’il n’en ait aucun. N’exigez de lui qu’une chose, c’est de s’exprimer toujours purement et clairement ; d’où résultera l’habitude d’avoir bien vu dans sa tête avant que de parler, et de cette habitude, la justesse de l’esprit.

Je ne sais ce que c’est que l’éducation libérale, ou la voilà.

Mais à quoi serviront tant de soins, sans la santé ? la santé, sans laquelle on n’est ni bon, ni méchant ; on n’est rien. On obtient la santé par l’exercice et la sobriété.

Ensuite un ordre invariable dans les devoirs de la journée : cela est essentiel.

Voilà, madame, ce que je vous écrivais avant que de vous avoir lue : ensuite je me suis aperçu qu’entre plusieurs idées qui nous étaient communes, il n’y en avait aucune qui se contrariât. Je m’en suis félicité ; et j’ai pensé que je pourrais bien avoir de la raison et du goût, puisque de moi-même j’avais tiré les vraies conséquences des principes que mon aimable et belle comtesse avait posés. Il n’y a guère d’autre différence entre sa lettre et la mienne, que celle des sexes.