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SPÉCULATIONS UTILES
ET
MAXIMES INSTRUCTIVES[1].




Je voudrais bien savoir pourquoi ces faiseurs de maximes, à commencer par Montaigne, La Rochefoucauld, Nicole, La Bruyère, Trublet, et finissant par ce dernier, M. de Bignicourt[2], ont tous été pénétrés du plus profond mépris pour l’espèce humaine. Montaigne nous croit incapables de rien savoir et de rien connaître ; La Rochefoucauld débute par nous assurer que nos vertus ne sont que des vices déguisés ; toute la morale du grand Nicole est fondée sur deux principes, c’est que la méchanceté découle de notre nature corrompue par le péché originel, et que le peu de bien que nous faisons est l’effet de la grâce de Dieu ; presque tous les portraits de La Bruyère sont en dénigrement, et ses réflexions, autant de petites satires ; Trublet n’estime pas plus l’homme que ses devanciers ; et Bignicourt voit partout sous l’écorce de l’honnêteté un motif vil et méprisable. Serait-ce en eux-mêmes, serait-ce dans ceux qu’ils ont fréquentés, que ces auteurs auraient pris la même opinion qu’ils ont de l’homme ? Auraient-ils pensé qu’il est inutile de nous entretenir des gens de bien, et que s’il y a des précautions à nous prescrire, ce ne doit être que contre les méchants, les seuls dont ils nous entretiennent ? Auraient-ils cru qu’il valait mieux rabattre de notre vanité, en nous rendant suspect le peu de bonnes qualités qui se trouvait en nous, que de nous porter à l’orgueil par leurs éloges ? Quoi qu’il en soit, je regarde ces réflexions isolées sur

  1. Ce morceau et le suivant ne portent, dans le manuscrit, aucun nom d’auteur. Ils paraissent être écrits de la main de Diderot, et sont vraisemblablement de lui. — Ils ont été publiés pour la première fois dans l’édition Belin, d’où cette note est tirée.
  2. La France littéraire ne cite pas cet ouvrage de Sim. de Bignicourt, Rémois, mort en 1775.