Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, IV.djvu/126

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tend subsister entre elle et la morale à qui elle ne cesse pourtant de faire la guerre la plus cruelle. C’est, sans doute, par cet artifice qu’elle séduit tant de sages ; ils croient de bonne foi la superstition utile à la politique et nécessaire pour contenir les passions ; cette superstition hypocrite, pour masquer ses traits hideux, sut toujours se couvrir du voile de l’utilité et de l’égide de la vertu ; en conséquence, on crut qu’il fallait la respecter et faire grâce à l’imposture parce qu’elle s’est fait un rempart des autels de la vérité. C’est de ce retranchement que nous devons la tirer pour la convaincre aux yeux du genre humain de ses crimes et de ses folies, pour lui arracher le masque séduisant dont elle se couvre, pour montrer à l’univers ses mains sacrilèges armées de poignards homicides, souillées du sang des nations qu’elle enivre de ses fureurs ou qu’elle immole sans pitié à ses passions inhumaines.

La morale de la nature est la seule religion que l’interprète de la nature offre à ses concitoyens, aux nations, au genre humain, aux races futures, revenues des préjugés qui ont si souvent troublé la félicité de leurs ancêtres. L’ami des hommes ne peut être l’ami des dieux, qui furent dans tous les âges les vrais fléaux de la terre. L’apôtre de la nature ne prêtera point son organe à des chimères trompeuses qui ne font de ce monde qu’un séjour d’illusions ; l’adorateur de la vérité ne composera point avec le mensonge, ne fera point de pacte avec l’erreur, dont les suites ne seront jamais que fatales aux mortels ; il sait que le bonheur du genre humain exige que l’on détruise de fond en comble l’édifice ténébreux et chancelant de la superstition pour élever à la nature, à la paix, à la vertu le temple qui leur convient. Il sait que ce n’est qu’en extirpant jusqu’aux racines l’arbre empoisonné qui depuis tant de siècles obombre l’univers que les yeux des habitants du monde apercevront la lumière propre à les éclairer, à les guider, à réchauffer leurs âmes. Si ses efforts sont vains, s’il ne peut inspirer du courage à des êtres trop accoutumés à trembler, il s’applaudira d’avoir osé le tenter. Cependant il ne jugera point ses efforts inutiles s’il a pu faire un seul heureux, si ses principes ont porté le calme dans une seule âme honnête, si ses raisonnements ont rassuré quelques cœurs vertueux. Il aura du moins l’avantage d’avoir banni de son esprit des terreurs importunes pour le