Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, IV.djvu/155

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doux, affable, enjoué, galant, d’une figure charmante, aimant les plaisirs, fait pour eux, et renfermait dans sa tête plus d’esprit qu’il n’y en avait eu dans celles de tous ses prédécesseurs ensemble.

On juge bien qu’avec un si rare mérite, beaucoup de femmes aspirèrent à sa conquête : quelques-unes réussirent. Celles qui manquèrent son cœur, tâchèrent de s’en consoler avec les grands de sa cour. La jeune Mirzoza fut du nombre des premières[1]. Je ne m’amuserai point à détailler les qualités et les charmes de Mirzoza ; l’ouvrage serait sans fin, et je veux que cette histoire en ait une.

CHAPITRE III,

qu’on peut regarder comme le premier de cette histoire.

Mirzoza fixait Mangogul depuis plusieurs années. Ces amants s’étaient dit et répété mille fois tout ce qu’une passion violente suggère aux personnes qui ont le plus d’esprit. Ils en étaient venus aux confidences ; et ils se seraient fait un crime de se dérober la circonstance de leur vie la plus minutieuse. Ces suppositions singulières : « Si le ciel qui m’a placé sur le trône m’eût fait naître dans un état obscur, eussiez-vous daigné descendre jusqu’à moi, Mirzoza m’eût-elle couronné ?… Si Mirzoza venait à perdre le peu de charmes qu’on lui trouve, Mangogul l’aimerait-il toujours ? » ces suppositions, dis-je, qui exercent les amants ingénieux, brouillent quelquefois les amants délicats, et font mentir si souvent les amants les plus sincères, étaient usées pour eux.

La favorite, qui possédait au souverain degré le talent si nécessaire et si rare de bien narrer, avait épuisé l’histoire scandaleuse de Banza. Comme elle avait peu de tempérament[2],

  1. Mme de Pompadour (Mme Lenormand d’Étioles) avait mis une certaine persistance à courir après le mouchoir. Suivant les chasses, se faisant remarquer par son assiduité à toutes les fêtes et par sa coquetterie, sa faveur était plutôt le résultat de son habileté que celui d’un penchant irrésistible de la part du roi.
  2. On sait que Mme de Pompadour n’hésita pas, pour conserver son influence, à se faire représenter, auprès de son royal amant, par des remplaçantes choisies par elle.