Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, IV.djvu/21

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quel péril tu l’avais exposé, lui, son père et sa mère, s’occupe du fidèle compagnon de son voyage ; il rattache le collier de son chien. Fais grâce à l’innocent. Vois cette mère fraîchement échappée des eaux avec son époux ; ce n’est pas pour elle qu’elle a tremblé, c’est pour son enfant. Vois comme elle le serre contre son sein ; vois comme elle le baise. Dieu ! reconnais les eaux que tu as créées. Reconnais-les, et lorsque ton souffle les agite, et lorsque ta main les apaise. Reconnais les sombres nuages que tu avais rassemblés, et qu’il t’a plu de dissiper. Déjà ils se séparent, ils s’éloignent, déjà la lueur de l’astre du jour renaît sur la face des eaux ; je présage le calme à cet horizon rougeâtre. Qu’il est loin, cet horizon ! il ne confine point avec la mer. Le ciel descend au-dessous et semble tourner autour du globe. Achève d’éclaircir ce ciel ; achève de rendre à la mer sa tranquillité. Permets à ces matelots de remettre à flot leur navire échoué ; seconde leur travail ; donne-leur des forces, et laisse-moi mon tableau. Laisse-le-moi, comme la verge dont tu châtieras l’homme vain. Déjà ce n’est plus moi qu’on visite, qu’on vient entendre : c’est Vernet qu’on vient admirer chez moi. Le peintre a humilié le philosophe.

Ô mon ami, le beau Vernet que je possède ! Le sujet est la fin d’une tempête sans catastrophe fâcheuse. Les flots sont encore agités ; le ciel couvert de nuages ; les matelots s’occupent sur leur navire échoué ; les habitants accourent des montagnes voisines. Que cet artiste a d’esprit ! Il ne lui a fallu qu’un petit nombre de figures principales pour rendre toutes les circonstances de l’instant qu’il a choisi. Comme toute cette scène est vraie ! Comme tout est peint avec légèreté, facilité et vigueur ! Je veux garder ce témoignage de son amitié. Je veux que mon gendre le transmette à ses enfants, ses enfants aux leurs, et ceux-ci aux enfants qui naîtront d’eux.

Si vous voyiez le bel ensemble de ce morceau ; comme tout y est harmonieux ; comme les effets s’y enchaînent ; comme tout se fait valoir sans effort et sans apprêt ; comme ces montagnes de la droite sont vaporeuses ; comme ces rochers et les édifices surimposés sont beaux ; comme cet arbre est pittoresque ; comme cette terrasse est éclairée ; comme la lumière s’y dégrade ; comme ces figures sont disposées, vraies, agissantes, naturelles, vivantes ; comme elles intéressent ; la force dont