Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, IV.djvu/324

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« — Mais considérez, madame, lui répliqua Marzupha, qu’Amisadar n’a nommé personne, et qu’il n’est pas vraisemblable qu’il nous en ait imposé.

« — J’entrevois ce que c’est, reprit Fanni : Amisadar a de l’esprit ; il est bien fait : il aura donné à cette pauvre recluse des idées de volupté qui l’auront entraînée. Oui, c’est cela. Ces gens-là sont dangereux pour qui les écoute ; et entre eux Amisadar est unique…

« — Quoi donc, madame, interrompit Marsupha, Amisadar serait-il le seul homme qui sût persuader, et ne rendrez-vous point justice à d’autres qui méritent autant que lui un peu de part dans votre estime ?

« — Et de qui parlez-vous, s’il vous plaît ?

« — De moi, madame, qui vous trouve charmante, et…

« — C’est pour plaisanter, je crois. Envisagez-moi donc, Marsupha. Je n’ai ni rouge ni mouches. Le battant-l’œil ne me va point. Je suis à faire peur…

« — Vous vous trompez, madame : ce déshabillé vous sied à ravir. Il vous donne un air si touchant, si tendre !… »

« À ces propos galants Marsupha en ajouta d’autres. Je me mis insensiblement de la conversation ; et quand Marsupha eut fini avec moi, il reprit avec ma maîtresse :

« Sérieusement, Amisadar a tenté votre conversion ? c’est un homme admirable pour les conversions ! Pourriez-vous me communiquer un échantillon de sa morale ? Je gagerais bien qu’elle diffère peu de la mienne.

« — Nous avons traité certains points de galanterie à fond. Nous avons analysé la différence de la femme tendre et de la femme galante. Il en est, lui, pour les femmes tendres.

« — Et vous aussi sans doute ?…

« — Point du tout, mon cher. Je me suis épuisée à lui démontrer que nous étions toutes les unes comme les autres, et que nous agissions par les mêmes principes. Il n’est pas de cet avis. Il établit des distinctions à l’infini, mais qui n’existent, je crois, que dans son imagination. Il s’est fait je ne sais quelle créature idéale, une chimère de femme, un être de raison coiffé.

« — Madame, lui répondit Marsupha, je connais Amisadar. C’est un garçon qui a du sens et qui a fréquenté les femmes. S’il vous a dit qu’il y en avait…