Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, IV.djvu/336

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et revinrent en moins d’un quart d’heure nous rendre compte de leur négociation. « Messieurs, nous dirent-ils, on vous attendra ce soir à souper chez la duchesse Astérie. » Ceux qui n’étaient pas de la partie se récrièrent sur notre bonne fortune ; on fit encore quelques tours : on se sépara ; et nous montâmes en carrosse pour en aller jouir.

« Nous descendîmes à une petite porte, au pied d’un escalier fort étroit, d’où nous grimpâmes à un second, dont je trouvai les appartements plus vastes et mieux meublés qu’ils ne me paraîtraient à présent. On me présenta à la maîtresse du logis, à qui je fis une révérence des plus profondes, que j’accompagnai d’un compliment si respectueux, qu’elle en fut presque déconcertée. On servit, et on me plaça à côté d’une petite personne charmante, qui se mit à jouer la duchesse tout au mieux. En vérité, je ne sais comment j’osai en tomber amoureux : cela m’arriva cependant.

— Vous avez donc aimé une fois dans votre vie ? interrompit la favorite,

— Eh ! oui, madame, lui répondit Sélim, comme on aime à dix-huit ans, avec une extrême impatience de conclure une affaire entamée. Je ne dormis point de la nuit, et dès la pointe du jour, je me mis à composer à ma belle inconnue la lettre du monde la plus galante. Je l’envoyai, on me répondit, et j’obtins un rendez-vous. Ni le ton de la réponse, ni la facilité de la dame, ne me détrompèrent point, et je courus à l’endroit marqué, fortement persuadé que j’allais posséder la femme ou la fille d’un premier ministre. Ma déesse m’attendait sur un grand canapé ; je me précipitai à ses genoux ; je lui pris la main, et la lui baisant avec la tendresse la plus vive, je me félicitai sur la faveur qu’elle daignait m’accorder. « Est-il bien vrai, lui dis-je, que vous permettez à Sélim de vous aimer et de vous le dire, et qu’il peut, sans vous offenser, se flatter du plus doux espoir ? » En achevant ces mots, je pris un baiser sur sa gorge ; et comme elle était renversée, je me préparais assez vivement à soutenir ce début, lorsqu’elle m’arrêta, et me dit : »

« — Tiens, mon ami, tu es joli garçon ; tu as de l’esprit ; tu parles comme un ange ; mais il me faut quatre louis.

« — Comment dites-vous ? l’interrompis-je…