Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, IV.djvu/372

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— Madame, dit Sélim à la favorite, j’ai beau m’examiner, je ne me rappelle plus rien, et je me sens à présent la conscience tout à fait pure.

— Olympia, dit Mangogul…

— Ah ! prince, interrompit Sélim, je sais ce que c’est : cette historiette est si vieille, qu’il n’est pas étonnant qu’elle me soit échappée.

— Olympia, reprit Mangogul, femme du premier caissier du Hasna, s’était coiffée d’un jeune officier, capitaine dans le régiment de Sélim. Un matin, son amant vint tout éperdu lui annoncer les ordres donnés à tous les militaires de partir, et de joindre leurs corps. Mon aïeul Kanoglou avait résolu cette année d’ouvrir la campagne de bonne heure, et un projet admirable qu’il avait formé n’échoua que par la publicité des ordres. Les politiques en frondèrent, les femmes en maudirent : chacun avait ses raisons. Je vous ai dit celles d’Olympia. Cette femme prit le parti de voir Sélim, et d’empêcher, s’il était possible, le départ de Gabalis : c’était le nom de son amant. Sélim passait déjà pour un homme dangereux. Olympia crut qu’il convenait de se faire escorter ; et deux de ses amies, femmes aussi jolies qu’elle, s’offrirent à l’accompagner. Sélim était dans son hôtel lorsqu’elles arrivèrent. Il reçut Olympia, car elle parut seule, avec cette politesse aisée que vous lui connaissez et s’informa de ce qui lui attirait une si belle visite.

« — Monsieur, lui dit Olympia, je m’intéresse pour Gabalis, il a des affaires importantes qui rendent sa présence nécessaire à Banza, et je viens vous demander un congé de semestre.

« — Un congé de semestre, madame ? Vous n’y pensez pas, lui répondit Sélim ; les ordres du sultan sont précis : je suis au désespoir de ne pouvoir me faire auprès de vous un mérite d’une grâce qui me perdrait infailliblement. Nouvelles instances de la part d’Olympia : nouveaux refus de la part de Sélim.

« — Le vizir m’a promis que je serais compris dans la promotion prochaine. Pouvez-vous exiger, madame, que je me noie pour vous obliger ?

« — Et non, monsieur, vous ne vous noierez point et vous m’obligerez.

« — Madame, cela n’est pas possible ; mais si vous voyiez le vizir.