Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, IV.djvu/402

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— Veux-tu que je leur parle ?

— Si je le veux ! en peux-tu douter  ?

— S’ils me refusaient  ?

— J’en mourrais de peine. »

la sultane.

L’oiseau n’est pas loin du pays de Vérité. On y touche partout où la corruption n’a pas encore donné aux sentiments du cœur un langage maniéré.

le premier émir.

À peine l’oiseau blanc eut-il frappé les yeux du berger, que celui-ci médita d’en faire un présent à sa bergère ; c’est ce que l’oiseau comprit à merveille aux précautions dont on usait pour le surprendre.

la sultane.

Que votre oiseau dissolu n’aille pas faire un petit esprit à cette jeune innocente ; entendez-vous ?

le premier émir.

S’imaginant qu’il pourrait avoir de ces gens des nouvelles de Vérité, il se laissa attraper, et fit bien. Il l’entendit nommer dès les premiers jours qu’il vécut avec eux ; ils n’avaient qu’elle sur leurs lèvres ; c’était leur divinité, et ils ne craignaient rien tant que de l’offenser ; mais comme il y avait beaucoup plus de sentiment que de lumière dans le culte qu’ils lui rendaient, il conçut d’abord que les meilleurs amis de la fée n’étaient pas ceux qui connaissaient le mieux son séjour, et que ceux qui l’entouraient l’en entretiendraient tant qu’il voudrait, mais ne lui enseigneraient pas les moyens de la trouver. Il s’éloigna des bergers, enchanté de l’innocence de leur vie, de la simplicité de leurs mœurs, de la naïveté de leurs discours ; et pensant qu’ils ne devaient peut-être tous ces avantages qu’au crépuscule éternel qui régnait sur leurs campagnes, et qui, confondant à leurs yeux les objets, les empêchait de leur attacher des valeurs imaginaires, ou du moins d’en exagérer la valeur réelle.


Ici la sultane poussa un léger soupir, et l’émir ayant cessé de parler, elle lui dit d’une voix faible :

« Continuez, je ne dors pas encore. »

le premier émir.

Chemin faisant, il se jeta dans une volière, dont les habi-