Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, IV.djvu/419

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la première femme.

Oui, madame.

la sultane.

Comment prit-elle ce portrait, qui n’était pas flatté ?

la première femme.

Elle s’avança vers lui, l’embrassa tendrement ; et le prince continua.

« Je fus du nombre de ceux que Rousch entreprit ; mais j’aimais la fée et j’en étais aimé. Le moyen de lui plaire, en me liant avec le seul génie qu’elle eût en aversion ! Je m’appliquai donc à éloigner Rousch. Il en fut piqué. Azéma, sur laquelle il avait des vues, s’avisa d’en avoir sur moi ; et voilà Rousch furieux. C’était bien à tort, car je n’avais pas le moindre dessein qui pût l’alarmer. La tante eut beau me vanter la bonté de son esprit et la douceur de son caractère, je répondis aux éloges de l’une et aux agaceries insinuantes de sa nièce, qu’Azéma ferait assurément le bonheur de son époux, mais que je ne pouvais faire le sien ; et il n’en fut plus question. Cependant Rousch ne me le pardonna pas davantage. Il se promit une vengeance proportionnée à l’injure qu’il prétendait avoir reçue. Il médita d’abord de se battre ; mais après y avoir un peu réfléchi, il trouva qu’il n’en avait pas le courage. Il aima mieux recourir à son art. Il redoubla de rage contre Vérité, et se mit à la défigurer d’une si étrange manière, que je ne pus l’aimer ce jour-là. À l’entendre, c’était une pédante, une ennemie des plaisirs et du bonheur ; que sais-je encore ? Je parus froid à la fée ; j’abrégeai les longs entretiens que j’avais coutume d’avoir avec elle : je ne sais même si je n’eus pas une mauvaise honte de l’attachement scrupuleux que je lui avais voué. Cependant je la revis le lendemain, mais d’un air embarrassé. La fée m’avait deviné ; elle me demanda comment je l’avais trouvée la veille.

« — Madame, lui répondis-je, on ne peut pas mieux. Vous êtes charmante en tout temps ; mais hier vous étiez à ravir.

« — Ah ! mon fils, me répondit la fée, Rousch vous a séduit. Quel dommage, et que votre changement m’afflige ! Prince, vous m’abandonnez.

« Je fus sensible à ce reproche ; et me jetant entre les bras de la fée (elle les tenait toujours ouverts à ceux qui revenaient