Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, IV.djvu/430

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ment la taille de la vielleuse. Trocilla était assise sur un tabouret ; cette situation n’était pas commode. »

la sultane.

Émir, supposez que je dors, et continuez.

le premier émir.

« Je la pris par sa main jolie que je baisai plusieurs fois, en la conduisant vers une chaise longue sur laquelle je la poussai doucement ; elle s’y laissa aller sans façon ; et me voilà assis à côté d’elle, lui baisant encore la main, et lui protestant d’une voix émue que je l’adorais. »


De distraction le sultan s’écria : « Adore donc, maudite bête ! » Heureusement la sultane, ou ne l’entendit pas, ou feignit de ne pas l’entendre.

le premier émir.

« Trocilla me crut apparemment, car elle me passa son autre main sur les yeux, et l’arrêta sur ma bouche. Je la regardai dans ce moment, et je la trouvai charmante. Son souris, son badinage, le son de sa voix, tout excitait en moi des désirs. Elle me tenait de petits propos d’enfants, qui achevaient de me tourner la tête. Bientôt je n’y fus plus. Je me penchai sur sa gorge. Je ne sais trop ce que mes mains devinrent. Trocilla paraissait éprouver le même trouble ; et nous touchions à l’instant du bonheur, lorsque nous sortîmes, elle et moi, de cette situation voluptueuse, par une extravagance inouïe. Trocilla me repoussa fortement ; et se mettant à pleurer, mais à pleurer à chaudes larmes :

« Ah ! cher Zulric, s’écria-t-elle ; tendre et fidèle amant, que deviendrais-tu, si tu savais à quel point je t’oublie ? »

« Ses larmes et ses soupirs redoublèrent ; c’était à me faire craindre qu’elle ne suffoquât.

« Retirez-vous, monsieur ; je vous hais, je vous déteste. Vous m’avez fait manquer à mes serments, et tromper l’homme unique à qui je suis engagée par les liens les plus solennels ; vous n’en serez pas plus heureux, et j’en mourrai de douleur. »

« Ces dernières paroles, et les larmes abondantes qui les suivirent, me persuadèrent que le quart d’heure était passé. Je