Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, IV.djvu/468

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la marquise.

Votre sœur vous est chère ; mais elle a un mari qui l’adore. Je sens qu’on ne tient pas à cela. Vous avez été obligé de vous détacher d’un ami ingrat. C’est un chagrin réel, et contre lequel je ne connais point de prompt remède ; mais heureusement vous avez pris votre parti, et ce n’est pas apparemment pour un événement auquel vous ne pensez plus, que vous haïssez la vie. C’est donc parce que Julie est indolente, et ne veut se marier que lorsque vous aurez embrassé un état ? Car voilà le grief important, n’est-ce pas ? (Saint-Alban soupire et se tait.) Quoi, cela suffit-il pour vous faire oublier tout ce que vous est Julie, tout ce qu’a fait pour vous Serigni ? Revenez à vous et rougissez. Voyez ces deux amis à vos côtés dans les différentes époques de votre vie. Avez-vous du chagrin ? Voyez comme leur tendresse active, mais discrète, s’attache à vous consoler lorsque vous voulez l’être, et sait adroitement détourner votre âme des objets qui la flétrissent. Êtes-vous heureux ; quelle satisfaction est répandue sur le visage de votre ami ! On n’a qu’à le regarder, si on veut connaître votre situation… La sérénité et la vertu sont peintes sur son visage. Je ne crois pas qu’il y ait un spectacle plus doux que celui d’un homme honnête et content, et c’est le spectacle que Serigni vous offre journellement… Et vous appelez cela un seul dédommagement !

saint-alban.

Arrêtez, madame, vous me faites en effet rougir.

la marquise.

Vous conveniez, tout à l’heure, que chaque jour vous donnait dans votre passion une satisfaction nouvelle. Citez-moi donc à présent un chagrin, une peine, qui vous autorise à vous plaindre de la vie.

saint-alban.

Il est certain que je ne puis rien citer qui, en apparence, vaille la peine de tourmenter un homme raisonnable ; mais ignorez-vous que ce sont précisément les misères répétées qui rendent la vie amère et insupportable ?

la marquise.

Soit. Mais aussi pourquoi ne voulez-vous compter pour un