Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, IV.djvu/478

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autres ? Rien ne se communique plus vite ; rien n’excite plus de fermentation que cette chaleur de tête… Un homme parvenu à se faire un jeu des tourments et même de sa vie, sera-t-il fort occupé du bonheur et de la conservation de ses semblables ? Et si son voisin, son ennemi surtout, a des opinions différentes ; s’il les croit nuisibles, dangereuses, voyez-vous où cela mène ? Riez donc, morbleu ! riez si vous en avez le courage.

derville.

Non, vous m’en ôtez l’envie. Mais toutes ces réflexions ne se présentent guère, comme vous l’avez dit vous-même, au milieu d’un repas bruyant et gai. Il n’est pas étonnant qu’on se livre alors à la plaisanterie et à la saillie du moment.

cinqmars.

Pardonnez-moi. Car il y a des gens qui, tout à travers cette ivresse, n’auraient pas ri ; et il y en a d’autres qui riraient encore malgré toutes ces réflexions.

derville.

Oh, ceux-ci auraient tort. Cela prouverait une légèreté impardonnable.

cinqmars.

Oh, cela prouverait plus que cela. Savez-vous que le rire est la pierre de touche du goût, de la justice et de la bonté ?

derville.

Oui, témoin le rire des enfants, n’est-ce pas ?

cinqmars.

Il est d’inexpérience ; et vous venez de rire comme eux. Asseyons-nous sur ce banc.

derville.

J’avoue que je n’ai jamais trop réfléchi sur le rire ni sur ses causes. Il y en a tant…

cinqmars, souriant.

Je m’en doutais bien. Pour moi, je crois bien qu’il n’y en a qu’une.

derville.

Comment, il n’y en a qu’une ?

cinqmars.

C’est toujours l’idée de défaut qui excite en nous le rire ; défaut ou dans les idées, ou dans l’expression, ou dans la personne qui agit, ou qui parle, ou qui fait l’objet de l’entretien.