Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, IV.djvu/51

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FRAGMENTS POLITIQUES[1]



Nous avons découvert un nouveau monde qui a changé les mœurs de l’ancien. La navigation perfectionnée a rapproché les distances les plus éloignées. Trois siècles de découvertes successives fournissent de nouveaux sujets à notre surprise, de nouveaux aliments à notre curiosité, et ouvrent un vaste champ à nos conjectures. Toutefois je ne pense pas que le goût de l’histoire ancienne soit passé ni qu’il s’use jamais. C’est un tableau continu de mœurs grandes et fortes qui intéressera et émerveillera d’autant plus les siècles à venir, que plus le monde vieillira, plus les hommes deviendront pauvres, petits et mesquins. Il ne faut plus s’attendre à des fondations de peuples presque miraculeuses, à des soulèvements généraux de nations contre nations, à des expéditions où l’on voit une poignée d’hommes conduits par un chef ambitieux parcourant une portion du globe, subjuguant, dévastant, égorgeant tout ce qui s’opposait à sa marche. Cet homme en présence duquel la terre étonnée garda le silence, ne se reverra plus. Des circonstances particulières pourront encore renfermer entre des collines une troupe de brigands ; mais ces brigands promptement exterminés auront à peine le temps et la facilité de s’emparer des chaumières adjacentes de leur retraite. Il faudrait que quelque grand phénomène physique bouleversât l’Europe, détruisît les arts, dispersât les empires, réduisît les nations à quelques familles isolées, pour que l’on vit renaître dans l’avenir des événements et une histoire comparables à l’histoire ancienne. L’Europe, le seul continent du globe sur lequel il faille arrêter les yeux,

  1. Ces fragments ont paru pour la première fois dans l’édition Belin des Œuvres de Diderot.