Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, V.djvu/104

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d’une recluse : c’est un tissu de puérilités que je méprise ; j’y serais faite, si j’avais pu m’y faire ; j’ai cherché cent fois à m’en imposer, à me briser là-dessus ; je ne saurais. J’ai envié, j’ai demandé à Dieu l’heureuse imbécillité d’esprit de mes compagnes ; je ne l’ai point obtenue, il ne me l’accordera pas. Je fais tout mal, je dis tout de travers, le défaut de vocation perce dans toutes mes actions, on le voit ; j’insulte à tout moment à la vie monastique ; on appelle orgueil mon inaptitude ; on s’occupe à m’humilier ; les fautes et les punitions se multiplient à l’infini, et les journées se passent à mesurer des yeux la hauteur des murs.

— Madame, je ne saurais les abattre, mais je puis autre chose.

— Monsieur, ne tentez rien.

— Il faut changer de maison, je m’en occuperai. Je viendrai vous revoir ; j’espère qu’on ne vous célera pas ; vous aurez incessamment de mes nouvelles. Soyez sûre que, si vous y consentez, je réussirai à vous tirer d’ici. Si l’on en usait trop sévèrement avec vous, ne me le laissez pas ignorer. »

Il était tard quand M. Manouri s’en alla. Je retournai dans ma cellule. L’office du soir ne tarda pas à sonner : j’arrivai des premières ; je laissai passer les religieuses, et je me tins pour dit qu’il fallait demeurer à la porte ; en effet, la supérieure la ferma sur moi. Le soir, à souper, elle me fit signe en entrant de m’asseoir à terre au milieu du réfectoire ; j’obéis, et l’on ne me servit que du pain et de l’eau ; j’en mangeai un peu, que j’arrosai de quelques larmes. Le lendemain on tint conseil ; toute la communauté fut appelée à mon jugement ; et l’on me condamna à être privée de récréation, à entendre pendant un mois l’office à la porte du chœur, à manger à terre au milieu du réfectoire, à faire amende honorable trois jours de suite, à renouveler ma prise d’habit et mes vœux, à prendre le cilice, à jeûner de deux jours l’un, et à me macérer après l’office du soir tous les vendredis. J’étais à genoux, le voile baissé, tandis que cette sentence m’était prononcée.

Dès le lendemain, la supérieure vint dans ma cellule avec une religieuse qui portait sur son bras un cilice et cette robe d’étoffe grossière dont on m’avait revêtue lorsque je fus conduite dans le cachot. J’entendis ce que cela signifiait ; je me déshabillai, ou plutôt on m’arracha mon voile, on me dépouilla ;