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NOTICE PRÉLIMINAIRE




La chronologie n’est point une science à dédaigner, et quand on ne consulte pas avec soin les registres où elle inscrit au jour le jour les événements que l’histoire brouille souvent à distance, on risque de fausser, par une seule inadvertance, le caractère d’un homme et parfois celui de toute une époque. Ce n’est point le lieu, dans ces courtes Notices, d’entamer une discussion à ce sujet, mais nous ne pouvons nous dispenser cependant de réagir contre une opinion qui pourrait prendre quelque consistance si l’on s’attachait à la valeur de l’homme qui l’a exprimée, il y a quelque temps, dans une collection destinée à avoir beaucoup de lecteurs, celle des Chefs-d’œuvre des Conteurs français (Charpentier, 3 vol. in-18, 1874).

Dans son Introduction aux Conteurs français du xviiie siècle, M. Ch. Louandre écrit : « La croisade philosophique ne commence que vers 1750. Diderot ouvre le feu par la Religieuse, et fait revivre toutes les accusations des réformés : le célibat, le renoncement, l’ensevelissement dans les cloîtres sont en contradiction avec les instincts les plus profonds de l’âme humaine. Ils conduisent au désespoir, à la révolte désordonnée des sens ; ils violent la loi naturelle, et, bien loin de faire des saints, ils ne font que des victimes. Cette thèse, développée avec une verve éclatante, laissa dans les esprits une impression profonde, et si l’on veut prendre la peine de comparer la Religieuse et les discussions qui ont provoqué le décret de l’Assemblée nationale[1], portant suppression des ordres religieux, on pourra se convaincre que les législateurs ont en grande partie reproduit les arguments du romancier. »

La Religieuse ne fut publiée qu’en l’an V (1796) de la République française, et quoiqu’elle fût alors composée depuis trente-cinq ans, elle

  1. Ce décret fut promulgué le 27 février 1790.