Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, V.djvu/148

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— N’y manquez pas, car j’ai quelque chose d’important à vous communiquer.

— Je vais rentrer… »

C’était cette pauvre Sainte-Thérèse. Elle demeura un petit moment sans parler, et moi aussi ; ensuite je lui dis : « Chère sœur, est-ce à moi que vous en voulez ?

— Oui.

— À quoi puis-je vous servir ?

— Je vais vous le dire. J’ai encouru la disgrâce de notre chère mère ; je croyais qu’elle m’avait pardonné, et j’avais quelque raison de le penser ; cependant vous êtes toutes assemblées chez elle, je n’y suis pas, et j’ai ordre de demeurer chez moi.

— Est-ce que vous voudriez entrer ?

— Oui.

— Est-ce que vous souhaiteriez que j’en sollicitasse la permission ?

— Oui.

— Attendez, chère amie, j’y vais.

— Sincèrement, vous lui parlerez pour moi ?

— Sans doute ; et pourquoi ne vous le promettrais-je pas, et pourquoi ne le ferais-je pas après vous l’avoir promis ?

— Ah ! me dit-elle, en me regardant tendrement, je lui pardonne, je lui pardonne le goût qu’elle a pour vous ; c’est que vous possédez tous les charmes, la plus belle âme et le plus beau corps. »

J’étais enchantée d’avoir ce petit service à lui rendre. Je rentrai. Une autre avait pris ma place en mon absence sur le bord du lit de la supérieure, était penchée vers elle, le coude appuyé entre ses deux cuisses, et lui montrait son ouvrage ; la supérieure, les yeux presque fermés, lui disait oui et non, sans presque la regarder ; et j’étais debout à côté d’elle sans qu’elle s’en aperçût. Cependant elle ne tarda pas à revenir de sa légère distraction. Celle qui s’était emparée de ma place, me la rendit ; je me rassis ; ensuite me penchant doucement vers la supérieure, qui s’était un peu relevée sur ses oreillers, je me tus, mais je la regardai comme si j’avais une grâce à lui demander. « Eh bien, me dit-elle, qu’est-ce qu’il y a ? parlez, que voulez-vous ? est-ce qu’il est en moi de vous refuser quelque chose ?