Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, V.djvu/164

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communauté. Il est difficile d’imaginer le trouble de la vie que l’on menait ; la journée se passait à sortir de chez soi et à y rentrer, à prendre son bréviaire et à le quitter, à monter et à descendre, à baisser son voile et à le relever. La nuit était presque aussi interrompue que le jour.

Quelques religieuses s’adressèrent à moi, et tâchèrent de me faire entendre qu’avec un peu plus de complaisance et d’égards pour la supérieure, tout reviendrait à l’ordre, elles auraient dû dire au désordre, accoutumé : je leur répondais tristement : « Je vous plains ; mais dites-moi clairement ce qu’il faut que je fasse… » Les unes s’en retournaient en baissant la tête et sans me répondre ; d’autres me donnaient des conseils qu’il m’était impossible d’arranger avec ceux de notre directeur ; je parle de celui qu’on avait révoqué, car pour son successeur, nous ne l’avions pas encore vu.

La supérieure ne sortait plus de nuit, elle passait des semaines entières sans se montrer ni à l’office, ni au chœur, ni au réfectoire, ni à la récréation ; elle demeurait renfermée dans sa chambre ; elle errait dans les corridors ou elle descendait à l’église ; elle allait frapper aux portes des religieuses et elle leur disait d’une voix plaintive : « Sœur une telle, priez pour moi ; sœur une telle, priez pour moi… » Le bruit se répandit qu’elle se disposait à une confession générale.


Un jour que je descendis la première à l’église, je vis un papier attaché au voile de la grille, je m’en approchai et je lus : « Chères sœurs, vous êtes invitées à prier pour une religieuse qui s’est égarée de ses devoirs et qui veut retourner à Dieu… » Je fus tentée de l’arracher, cependant je le laissai. Quelques jours après, c’en était un autre, sur lequel on avait écrit : « Chères sœurs, vous êtes invitées à implorer la miséricorde de Dieu sur une religieuse qui a reconnu ses égarements ; ils sont grands… » Un autre jour, c’était une autre invitation qui disait : « Chères sœurs, vous êtes priées de demander à Dieu d’éloigner le désespoir d’une religieuse qui a perdu toute confiance dans la miséricorde divine… »

Toutes ces invitations où se peignaient les cruelles vicissitudes de cette âme en peine m’attristaient profondément. Il m’arriva une fois de demeurer comme un terme vis-à-vis un