Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, V.djvu/242

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sur son ton, que le talent de s’immortaliser par les lettres n’est pas une qualité mésavenante à quelque rang que ce soit ; que la guirlande d’Apollon s’entrelace sans honte sur le même front avec celle de Mars ; qu’il est beau de savoir amuser et instruire pendant la paix ceux dont on a vaincu l’ennemi, et fait le salut pendant la guerre ; que je rabattrais un peu de la vénération que je porte à ces premiers hommes de la république, si je leur supposais une stupide indifférence pour la gloire littéraire ; qu’ils n’ont point eu cette indifférence ; et que, si je me trompe, on me ferait déplaisir de me déloger de mon erreur.

La statue de Térence ou de Virgile se soutient très-bien entre celles de César et de Scipion ; et peut-être que le premier de ceux-ci ne se prisait pas moins de ses Commentaires que de ses victoires. Il partage l’honneur de ses victoires avec la multitude de ses lieutenants et de ses soldats ; et ses Commentaires sont tout à lui. S’il n’est point d’homme de lettres qui ne fût très-vain d’avoir gagné une bataille ; y a-t-il un bon général d’armée qui ne fût aussi vain d’avoir écrit un beau poëme ? L’histoire nous offre un grand nombre de généraux et de conquérants ; et l’on a bientôt fait le compte du petit nombre d’hommes de génie capables de chanter leurs hauts faits. Il est glorieux de s’exposer pour la patrie ; mais il est glorieux aussi, et il est plus rare de savoir célébrer dignement ceux qui sont morts pour elle.

Laissons donc à Térence tout l’honneur de ses comédies, et à ses illustres amis tout celui de leurs actions héroïques. Quel est l’homme de lettres qui n’ait pas lu plus d’une fois son Térence, et qui ne le sache presque par cœur ? Qui est-ce qui n’a pas été frappé de la vérité de ses caractères et de l’élégance de sa diction ? En quelque lieu du monde qu’on porte ses ouvrages, s’il y a des enfants libertins et des pères courroucés, les enfants reconnaîtront dans le poëte leurs sottises, et les pères leurs réprimandes. Dans la comparaison que les Anciens ont faite du caractère et du mérite de leurs poètes comiques, Térence est le premier pour les mœurs. In ethesin Terentius… Et hos (mores) nulli alii servare convenit melius quam Terentio Horace couvrant, avec sa finesse ordinaire, la satire d’un jeune débauché par l’éloge de notre poëte, s’écrie :